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Le Principe de Lucifer Tome 2 , Le Jardin des Livres


Interview de

Howard Bloom

effectuée en novembre 2003



Cette interview porte sur les idées exposées dans ses deux livres et répond aux principales questions posées par tous les lecteurs du premier tome.

Le Jardin des Livres tient particulièrement à remercier tous les librairies et les lecteurs de Howard Bloom qui ont parlé avec enthousiasme de son Tome 1, sachant que la presse française l'a royalement censuré. Logique, puisque Bloom est trop « politiquement incorrect » ...





Le jardin des Livres : En France, notre diffuseur a eu bien des soucis avec certaines librairies à cause du mot « Lucifer » dans le titre de votre livre. Beaucoup de libraires l'ont refusé et d'autres n'ont même pas voulu le mettre sur la table des nouveautés. Avez-vous eu un problème de identique avec le diffuseur de votre éditeur américain ?


Howard Bloom :

Non, pas du tout. En France, peu de gens se disent croyants et encore moins vont à la messe. Aux Etats-Unis en revanche, presque chaque Américain est pratiquant et fier de donner son temps à son église. Un jour cependant, sur une radio chrétienne fondamentaliste j'ai participé à une émission où je les ai accusé d'être les seuls satanistes que je connaissais puisqu'ils étaient les seuls à croire en l'existence de Satan. Je comprends donc pourquoi vous avez pensé que le mot « Lucifer » ait pu susciter encore plus de vagues de désapprobation aux Etats-Unis qu'en France, pays sophistiqué, patrie de Voltaire, des philosophes et des anti-cléricaux. Mais non. Les Américains semblent trouver le titre du Principe de Lucifer sexy. Aux Etats-Unis, les gens veulent apparemment dormir avec le Diable. En France en revanche, je soupçonne qu'il y ait quelque chose de caché sous le lit de la culture française moderne, un fantôme de l'ancienne religion que les champions de l'égalité, de la fraternité et de la liberté ont cru avoir chassé au loin.


Q : Votre premier livre Le Principe de Lucifer, Tome 1 est le plus grand livre jamais écrit avec Introduction à la Psychanalyse de Sigmund Freud. Pouvez-vous nous expliquer, avec beaucoup de détails, comment le destin vous a-t-il poussé à l'écrire ?


H. B. :

C'est un très grand compliment. Vous savez, l'histoire du
Principe de Lucifer est l'histoire de ma vie, tout comme le Cerveau Global . Je travaille sur ces livres depuis mon enfance. En fait, je travaille sur un projet bien plus grand dont Le Principe de Lucifer et le Cerveau Global ne sont qu'un avant-goût . Je l'ai nommé «  La Grande Théorie Unifiée de toutes les choses de l'Univers, y compris l'âme humaine  ». Le travail de base ( c'est-à-dire la documentation, la recherche, la réflexion, l'innovation etc.) pour établir cette théorie est presque achevé, même si dans l'absolu, il n'a pas de fin. Je le continue chaque jour et nuit. Si on l'imprimait tout de suite, sans correction ni réécriture, cela ferait plus de 600 livres. Le corps est divisé en chapitres. Il y a un mois, mon archiviste Jason Lisckiewitz, était perdu parce que je lui avais donné le chiffre de 3.700 chapitres. Cela semble beaucoup, mais un mois plus tard, je lui ai dit qu'on en était à 3.800. Les matériaux  les idées nouvelles et toutes les recherches scientifiques  qui servent de base à cette théorie s'accumulent chaque jour et aug mentent plus vite que ma capacité de travail. Aujourd'hui j'en suis à...4.083 chapitres !

Pourquoi la « première tranche » appelée Le Principe de Lucifer est arrivée en premier constitue une vraie question. Retour dans les années 1800 : un étudiant médiocre qui ne savait pas ce qu'il devait faire de sa vie décida de ne pas entrer sous les ordres qui le destinait à être enfermé dans une cellule pour le restant de ses jours, et il partit à l'aventure. Il embarqua sur un navire vo guant vers l'Amérique du Sud. Lorsque le bateau aborda ce continent, l'ecclésiastique qu'il aurait dû devenir passa six mois à vivre comme un cow-boy,en gardant des vaches et partagea la vie des gauchos sud-américains. Puis le besoin de vagabonder le ramena sur le navire, et il visita toutes les îles où s'arrêtait son bateau qui le ramenait vers l'Angleterre. Il y vit des oiseaux, eut quelques idées, commença à les ruminer, puis rentra à la maison. Un « introverti faustien » typique, explorant ce qu'il n'était pas censé découvrir, voir, entendre ou toucher. Il s'appelait Charles Darwin et son idée était la « sélection naturelle ». Sans sa détermination à partir à l'aventure, je ne posséderais pas un seul des outils de base pour ma Grande théorie unifiée et à vous, il vous manquerait un ou deux outils intellectuels dont vous vous servez chaque jour.

Enfant, je n'étais pas non plus satisfait du futur qu'on m'avait réservé. Tout le monde disait que je deviendrais un professeur d'université. A 13 ans, mes centres d'intérêt s'élargirent. A 30 ans, j'ai réalisé que les choses les plus ordinaires que nous tenons pour acquises ( ces émotions troublantes que nous ressentons souvent ) ne se trouvaient pas sous mon nez mais derrière. Et une autre chose voguait sur ces émotions : la religion que nous ne comprenons pas non plus, mais tenons pour acquise. Je savais que j'étais athée. Dans les églises pourtant, les noirs étaient saisis par Dieu, contrôlés par lui, secoués par des spasmes et projetés dans une extase divine. Alors j'ai voulu connaître la raison de ces passions, de ces exaltations et de la religion. Lorsque j'ai obtenu mon diplôme, j'ai su que passer ma vie à faire des tests en compagnie de 22 ou 2000 autres collègues étudiants ne m'apporterait pas grand chose et que cela ne m'aiderait nullement à comprendre ces passions, ces émotions, bref, ces dieux intérieurs.

J'ai donc fait comme Darwin, je suis parti dans une expédition étrange et j'ai essayé de trouver une route qui serpenterait entre toutes ces émotions curieuses que nous avons tous en nous et que nous partageons dans des sortes de rites tribaux. Et le Destin m'a donné un coup de pouce lorsque, étudiant, on m'a demandé de m'occuper du magazine littéraire de mon université ( Columbia ). Je détestais les magazines littéraires, trop ennuyeux. Alors je l'ai changé. Gros titres, photos, poésie, fiction, plein de couleurs, etc., ce qui a déclenché la fureur de la communauté artistique new-yorkaise. Mais le magazine gagna deux prix de la National Academy of Poets. Et de fil en aiguille je me suis retrouvé à la tête d'un studio artistique dans lequel je ne travaillais que 50 heures par semaine*, me laissant suffisamment de temps pour travailler avec d'autres journaux underground. Ensuite j'ai été amené à m'occuper d'un journal dédié au rock and roll, musique que je ne connaissais pas. Progressivement, j'ai fait toute ma carrière dans ce monde, travaillant ensuite avec des gens comme Michael Jackson, Prince, John Mellencamp, Bette Middler, Bob Marley, Billy Joel, Paul Simon, Queen, Aerosmith, AC-DC, Kiss, Run Dmc, etc.

Plus vous vous élevez dans le « star-system », plus les règles du comportement humain semblent changer. Il y a une folie autour des stars. Si vous travaillez avec l'une d'elles, votre téléphone est bombardé de 300 appels ou plus par jour. Et l'ascension est comme une drogue. Vos hormones semblent être dopées et vous vous retrouvez à travailler à des vitesses vertigineuses. C'est enivrant. Mais cela peut aussi être dangereux. Si une crise s'installe à 10:00 h et qu'à 10:15 h vous ne l'avez pas réglée, elle dégénère jusqu'à se retrouver en gros titres dans la presse qui imprime souvent des âneries. J'ai pu voir comment ce système d'âneries fonctionne dans la presse et comment les journalistes se comportent très souvent comme des moutons. Cela a été une leçon pour moi et m'a éclairé sur le fonctionnement mystérieux de nos dieux intérieurs.

A l'apparition des micro-cassettes en 1981, j'ai acheté un lecteur et j'ai commencé à dicter toutes mes idées et toutes celles que je trouvais dans les journaux et les magazines scientifiques. A chaque fois que j'en parlais à mes amis, ils me disaient « tu devrais écrire un livre sur ce que tu nous racontes ». J'ai ainsi rempli plus de 24 micro-cassettes représentant plus de 240 heures de notes qui m'ont nécessité deux années à organiser et retranscrire. A la fin, j'avais de quoi écrire au moins 6 livres. Alors j'ai profité de mes 10 jours de congé annuels pour m'installer dans un hôtel de Santa Monica face à l'océan Pacifique et c'est comme cela que j'ai écrit les 15 premiers chapitres du Principe de Lucifer.


Q : Une question commune des lecteurs et aussi de certains libraires : comment expliquez-vous le fait que Lucifer se trouve dans le titre de votre livre et qu'il ne soit mentionné qu'une seule fois sur 440 pages ?

H. B. : Cette histoire remonte en 1979, un jour où je travaillais avec Peter Gabriel, l'ex-chanteur du groupe Genesis. J'avais fondé la plus grande compagnie de relations publiques spécialisé dans le show-business « musique » et « films ». C'était l'un des sept navires sur lequel j'effectuais mon Voyage du Beagle*, à la poursuite des dieux intérieurs. Peter

Gabriel était l'un de mes clients et nous avions tous les deux une passion pour la science et les nouvelles technologies. Gabriel m'avait parlé des expériences de Stanley Milgram qui transformait de sages étudiants en petits tortionnaires. Je lui avais expliqué que j'étais en train de préparer ce je pensais alors être une La Grande Théorie Unifiée du comportement humain  une nouvelle théorie de psychologie qui réunirait la cosmologie, l'astrophysique, l'évolution darwinienne, la biologie cellulaire, l'anthropologie et l'histoire. Les bureaux de ma compagnie se trouvaient à New York, au coin de la 55e et de Lexington Avenue dans un immeuble de style victorien répartis sur deux étages, reliés par une escalier circulaire. Je ne me souviens pas pourquoi Peter était venu ce jour-là, mais il se promenait dans les bureaux et discutait avec tous mes collaborateurs. Mon équipe était entièrement composée de femmes ce qui faisait peut-être partie de son charme. Finalement, il arriva dans mon bureau et dit : « Je pense qu'il faut que tu vérifies quelque chose. Cela s'appelle 'L'Hypothèse Gaïa' ». Il m'expliqua un peu l'idée et cela m'intrigua. Plus tard, dans un magazine scientifique, je suis tombé sur un article de Dorion Sagan et de Lynn Margulis. L'hypothèse Gaïa de Lynn Margulis disait que les organites à l'intérieur des cellules
étaient en fait le résultat d'une catastrophe mondiale, une immense hécatombe d'espèces bactériennes durant laquelle très peu survécurent. Cette hécatombe avait été causée par la pollution. Trop de bactéries négligentes avaient mangé une nourriture en en extrayant les produits toxiques et en rejetant ces poisons dans l'atmosphère. Finalement, toutes ces bactéries se débarrassèrent de leurs déchets au point qu'elles en infectèrent l'atmosphère, la faisant passer d'une ressource naturelle à une enveloppe suffocante empoisonnée. Quelques bactéries avaient réussi à résister à ce déluge de tueurs. Plutôt que de se battre pour survivre chacune de son côté, elles se réunirent comme une mini-arche de Noé. La théorie de Margulis dit que ces bactéries ont invité, séduit, avalé ou kidnappé d'autres petites bactéries, puis les ont gardées vivantes en elles. Ces travailleurs immigrés internes étaient capables de digérer les poisons qui auraient tué leurs hôtes, les grandes bactéries. En fait, les travailleurs immigrés étaient capables de transformer ces poisons en une énergie. Aujourd'hui, ces travailleurs immigrés sont toujours dans vos cellules et les miennes. Ce sont les organites, des cellules à l'intérieur de cellules, comme les mitochondries. Théorie fascinante, me direz-vous ? Radicale lorsque Margulis la présenta à la fin des années 60. Mais elle a changé la biologie cellulaire et évolutionniste.

Alors que fait Peter Gabriel dans cette histoire ? Eh bien c'est grâce à lui que je suis arrivé au Principe de Lucifer : l'histoire dit que des milliards et des milliards de bactéries moururent les unes après les autres dans un massacre sans précédent. Le titre Le Principe de Lucifer m'est venu tout seul, parce que ce processus auquel on doit nos vies, nos cellules et notre énergie, est un processus ultra-violent
.

J'ai été élevé juste après la Seconde Guerre mondiale, époque où nous étions tous informé de l'holocauste. Je me souviens en particulier de cette phrase «  toute personne qui savait qu'un crime était commis et qui n'a rien fait pour l'empêcher est complice de ce crime  ». Quelqu'un qui n'avait pas protesté face au crime était un criminel. Mais dans la Nature, le massacre collectif a des proportions encore plus inimaginables. L'assassin est la Nature. Mais cela signifie-t-il que nous devons rester-là et regarder fièrement ce massacre ? La violence de la Nature me dérange considérablement. Partout où je regardais, on louait la Nature, « notre mère la Nature, si douce, si bonne et si généreuse ». Tout le monde autour de moi disait que si on laissait faire la Nature comme elle l'entend, notre monde serait doux et bienveillant. Moi, je ne voyais ni douceur, ni gentillesse dans la Nature que j'étudiais. Et encore moins dans la Nature qui commettait des meurtres les uns après les autres, qui provoquait des épurations de masses, et qui recommençait sans cesse.

Gaïa est le nom qui désigne « notre mère la Terre », la grande déesse de la Nature, la Nature qui pourrait chaleureusement nous prendre dans ses bras et nous nourrir, si seulement on arrêtait d'abattre ses arbres. Mais c'est absurde. De quoi vivent les faucons en haut de ces arbres ? Du meurtre. Ils vivent en tuant des rats, des lapins, etc. Tout faucon qui refuse de tuer et qui devient végétarien, serait malgré lui un tueur, qu'il le veuille ou pas. Il mourrait de faim, et, s'il a des petits, ils mourraient eux aussi de faim. La Nature n'est pas gentille. Elle ne possède pas une seule once de bonté quand elle prend la forme d'êtres humains et nous pousse à nous entre-tuer soit dans des guerres, soit dans des génocides, qu'ils soient ceux des nazis ou ceux des Hutus et des Tutsi. Et elle n'est pas plus gentille quand elle tue des rats, des lapins, des dinosaures, ou tout autre animal. Elle ne l'est pas d'avantage quand elle inflige un génocide aux bactéries.

Quelqu'un devait protester. Quelqu'un devait se lever et dire « non » à ce mensonge. Quelqu'un devait essayer d'arrêter les assassinats en brisant le silence. Quelqu'un devait dénoncer ceux qui applaudissent, mentent ou ferment les yeux quand la Nature tue. Quelqu'un devait examiner tout ce qui fait de nous des meurtriers. Si en regardant du bon côté on voyait l'Hypothèse Gaïa, alors quelqu'un devait regarder la face opposée, la face cachée, le Principe de Lucifer . Quelqu'un devait creuser dans les forces de cette envie sanguinaire qui se trouvent dans la Nature et dans la nature des êtres humains. Si Dorion Sagan, Lynn Margulis et d'autres scientifiques avaient choisi de montrer uniquement les côtés positifs de la Nature, alors ma tache devait être de montrer les côtés négatifs de la Nature et d'avertir . Ainsi, j'ai puisé dans la documentation de ma
Grande théorie unifiée dans la partie consacrée à la violence, et je l'ai assemblée en une histoire, en un engrenage de connexions. Et c'est cet engrenage qui devint mon premier livre, Le Principe de Lucifer .

Certains diront que les bactéries qui sont tombées comme des mouches n'avaient qu'à s'en prendre à elles-mêmes. De quel droit avaient-elles pollué l'atmosphère qui les protégeait des rayons cosmiques ? Qui leur avait donné l'audace de cracher un gaz corrosif ? Mais laissez-moi vous donner le nom de ce gaz : c'était de l'oxygène. La leçon de cette histoire est que tout poison peut un jour devenir un trésor.


Q : Avec ce tome 2 du Principe de Lucifer, on a l'impression que c'est la première fois que nous touchons de près ce que la plupart des personnes appellent « Dieu ». Votre « Cerveau Global » est-il notre Dieu ?


H. B. :

Oui et non. Je suis athée, alors par définition pour moi, il n'y a pas de Dieu. Cela veut simplement dire qu'améliorer la vie, éliminer la cruauté et aider l'expérience humaine à évoluer repose aussi bien sur vos épaules que les miennes  d'une quelconque divinité supérieure.

La divinité supérieure est ce à quoi, vous et moi sommes obligés d'aspirer, ce qu'il nous faut devenir. Si Dieu a tout fait, il a fait la tubulure de l'espace-temps. Lorsque celle-ci a déversé une pluie de particules ( quarks, photons ) cet orage était Dieu. Pourquoi ? Parce que Dieu était tout, et il est tout. Dieu a tout fait, surtout cette force qui fit cette pluie de choses qui n'avait jamais existé auparavant. Dieu était la surface de l'espace et du temps d'où sont venues ces particules. D'ailleurs Dieu était les particules elles-mêmes et aussi le principe qui a déterminé où elles ricocheraient lors de leur téléscopage dans la collision ultra-rapide du premier plasma.

Dieu était aussi les particules, la force qui a réuni, entre autres, les protons et les neutrons et les nouvelles propriétés obtenues grâce à leur mélange. Dieu était même le futur qui se présentait à ces photons, les tirant d'un coup en avant dans le temps, les transportant sur une route qui, presque 400.000 années plus tard, les mènerait à une autre danse qu'elles exécuteront lorsque la vitesse du plasma diminue et s'essouffle. Et cette nouvelle danse est un atome ! Le globe de cette Terre n'est apparu que 13 milliards d'années après. Pourtant chacune de ces années est Dieu. Ce qui veut dire que lorsque la Vie a débuté il y a 3,85 milliards d'années, cette Vie était Dieu prenant corps d'une nouvelle façon. Cela signifie que lorsque cette Vie primitive a commencé à communiquer à travers le monde, ce qu'elle a fait très très tôt, Dieu était cette communication. Dieu était le cerveau global que cette communication fabriquait. Dieu était le nombre incalculable de colonies bactériennes échangeant des messages de protéines. Dieu était les milliards de bactéries. Dieu était la naissance, la vie et la mort de chaque nouvelle bactérie. Dieu était dans le tout, Dieu était dans chaque partie. Dieu était dans le futur qui n'était pas encore arrivé.

Des milliards d'années plus tard, lorsque des protéines se sont entrelacées sous la forme d'êtres humains, et des milliards d'années encore plus tard lorsque des êtres humains se sont liés ensemble dans une culture globale où on fabriquait des outils, où on échangeait des pierres, où on domptait le feu, où on gardait des électrons en les forçant à circuler sur des pastilles de silicium, tout électron, toute flamme, toute pierre et tout cerveau était Dieu.

Mais le cerveau global se trouve aussi dans les étoiles que nous n'avons pas encore visitées, dans les galaxies que nous n'avons encore jamais vues, et dans bien d'autres choses que même les astrophysiciens aux idées les plus audacieuses n'ont pas osé rêver. Dieu est dans notre anéantissement, si nous laissons faire les terroristes ayant des armes nucléaires. Dieu est aussi entre les mains et dans les croyances de ces terroristes. Dieu est dans les visites que nous ferons à de lointaines nébuleuses, si nous y parvenons. Dieu est dans la manière dont nous nous réorganiserons pour la paix, si nous en sommes capables. Le cerveau global de cette petite planète est seulement une partie de Dieu. Il y a bien plus de Dieu déployé à travers les étoiles, attendant que nous autres tissus d'êtres entrelacés puissions l'apprivoiser et l'améliorer.

S'il y a un Dieu. Mais Dieu est juste une aspiration. Dieu est notre destinée nous faisant un signe. Dieu est un défi lancé à notre bon vouloir, le défi de reconstruire une planète, un cosmos, une culture, et un esprit. Dieu est le défi de chevaucher tout ce que nous ne pouvons pas contrôler. Pourquoi? Pour que nous puissions nous y atteler et le maîtriser. Dieu est dans nos imaginations. Si Dieu est notre responsabilité, si Dieu est seulement dans nos rêves, si Dieu est la danse d'atomes et de molécules qui élaborent nos rêves, alors existe-il vraiment un Dieu ? Ou existe-t-il simplement une Nature qui se transforme éternellement en choses toujours nouvelles et plus étranges?


Q : Dans son livre La Divine connexion*, le Dr Melvin Morse donne à votre « Cerveau Global » un autre nom « les champs morphiques » ( cf. Shaldrake etc. ). L'idée ne vous est pas venue que ce « Cerveau Global » puisse appartenir... à quelqu'un ??


H. B. : Non. S'il y a un Dieu, il aurait dû être un cancre total pour se donner les limites d'une personnalité humaine. J'attends l e jour où vous et moi pourrons avoir l'équivalent de 20 cerveaux fonctionnant en même temps. Je veux être capable à la fois de séduire ma femme, d'écrire 3 livres, d'en lire 7 autres, de conduire une voiture, de garder en mémoire tout ce que j'apprends et y avoir un accès total rien qu'en y pensant, de mémoriser toute conversation avec vous, et d'accéder immédiatement à tout livre qui ait été écrit avec tous les faits et idées dont j'ai besoin, au moment précis où j'en ai besoin. Dieu voudrait-il moins ? En fait, Dieu aurait besoin de beaucoup plus. Dieu est seulement quelqu'un au sens où il est la somme de toute chose, et en conséquence il est multiple et un. Ou il n'est rien et n'existe pas. Mais rien dépend de tout, n'est-ce pas ?


Q : Dans votre livre, vous dites que les gens qui sont des solitaires sont toujours des perdants. Mais la Littérature et la Science regorgent de « solitaires » qui ont fait des grandes découvertes, et je pense sincèrement que vous appartenez à cette catégorie, celle des « solitaires ». Comment expliquez-vous Howard Bloom « le solitaire » à la lueur de votre propre livre ?


H. B. : Je n'ai jamais dit que les solitaires sont toujours des perdants dans la société. J'ai parlé de l'introverti faustien  une personnalité comme Pythagore qui n'était pas à sa place chez lui à Samos. C'était un intellectuel. Ses pairs étaient tous des sportifs tout en muscles, des hommes fiers de leur noble habileté à se battre, à manier des bateaux sur les mers et à damer le pion aux galères ennemies. Pythagore était un penseur et il ne convenait pas. Tout simplement. Alors il quitta Samos et erra pendant 50 ans à la recherche de la sagesse de ces gourous lointains. Puis il revint à Samos où il fut à nouveau ignoré. Du coup il repartit pour l'Italie et devint ce dont nombre de ses compagnons avaient besoin, un meneur d'hommes et de femmes, validant socialement tous ceux qui se trouvaient étranges, différents des autres et qui ne se sentaient pas à leur place chez eux, exactement comme Pythagore auparavant.

Une société d'abeilles ne peut pas survivre sans sa tribu d'inadaptés, de vagabonds et d'excentriques qui ne se refusent rien. Ces inadaptés sont des éclaireurs. Ils sont les antennes avec lesquelles les abeilles cherchent la terre de cocagne. Quand les sources de nourriture connues s'épuisent, toute la ruche dépend d'eux. Chez les abeilles, les solitaires sont les découvreurs, les cultivateurs du savoir et les innovateurs. Les solitaires peuvent voir des choses que personne ne peut déceler. Les solitaires sont vitaux à la santé d'une société humaine. Que je sois un solitaire avec une autre valeur, peut-être, je ne sais pas. Je l'espère. Mais en toute sincérité, et ce n'est pas très intelligent de ma part de reconnaître qu'au moins cinq fois par jour je suis persuadé de ne servir à rien.



Q : Croyez-vous en Dieu ?


H. B. : Personnellement, je ne crois pas en Dieu. Le poète américian Archibald MacLeish a écrit « Si Dieu est bon, il n'est pas Dieu. Si Dieu est Dieu, il n'est pas bon ». Si Dieu est omnipotent et tout puissant, alors c'est un sadique. Regardez toute la souffrance qu'il produit. Si Dieu est omniscient alors quel est son intérêt à nous tester avec toutes ces misères ? S'il est omniscient, alors il sait exactement comment nous allons réagir avant même notre naissance. Si Dieu est le savoir absolu, alors pourquoi commencer l'Univers avec la Genèse ou le Big Bang ? Dieu connaît forcément la suite. Il/Elle sait tout ce qui va sortir d'un artiste, d'un prophète, d'un philosophe ou d'un scientifique avant même qu'ils ne prononcent un mot. Pour nous, cela semble un mystère, mais pas pour lui/elle qui connaît la fin de toutes les histoires, y compris celles qui ne seront même jamais contées.

Voici ce que j'ai écrit il y a quelques années pour définir ce paradoxe : « puisqu'il n'y a pas de Dieu, c'est à nous de faire son travail. Dieu n'est pas un être, mais une aspiration, un cadeau, une vision, un but à atteindre. Nous, nous devons assumer la responsabilité de transformer cet Univers en un lieu juste, transformer les peines en compréhension , les nouvelles visions en joie, permettre aux nouvelles générations de toucher le ciel... C'est le travail d'une déité et la déité c'est la puissance qui réside en nous ».


Q : Pour nous aider à comprendre Howard Bloom l'écrivain, quel est le souvenir le plus important de votre vie ?

H. B. : Une après-midi, lorsque j'avais 10 ans et que je me trouvais seul dans l'immense maison familiale à Buffalo, dans l'Etat de New York. Ma chambre était plongée dans l'obscurité à cause des lourds rideaux devant les fenêtres. J'avais un livre entre mes mains et je ne savais pas ce que c'était. Mon oncle me l'avait offert. Le livre parlait de science et racontait le combat de Galilée contre le Pape, puis donnait cette définition de la science : «  la vérité à tout prix, y compris le prix de votre vie  ». Le livre présentait Galilée comme quelqu'un d'héroïque qui avait risqué sa vie au nom de ses idées, sans toutefois parler de ses compromissions. Mais à ce moment là, j'avais besoin d'héroïsme et ce livre m'a totalement changé. Cet après-midi, la science devint ma religion. Mais pour revenir à Dieu, je repense à ces autres notes à ce sujet : si Dieu est le Cosmos, alors je crois en Dieu. Si Dieu est le processus créatif appelé Evolution, alors je crois en Dieu. Si Dieu est ces 13,7 milliards d'années d'essais et d'erreurs qui ont produit la pensée, alors je crois en Dieu. Mais si Dieu est satisfait de la mort et des meurtres qui ont lieu depuis le début de la vie, voici 3,5 milliards d'années, alors je refuse de croire en Dieu. Si l'Univers persiste à générer de la souffrance, alors je crois que le seul Dieu, la seule force qui va nous entraîner vers une existence plus humaine est la force combinée de vous et de moi.


Q : Selon le tome 2 du Principe de Lucifer, une société a toujours deux choix, entre la Spartiate et l'Athénienne. Mais si nous prenons l'exemple de l'empire britannique du tome 1, il semble qu'une société passe toujours alternativement d'un état à l'autre. Avons-nous vraiment un choix ?


H. B. :

Oui nous avons le choix. Chaque société bouge entre les pôles extrêmes. Mais certaines sociétés sont plus extrémistes que d'autres, alors que certaines sont remarquablement tolérantes. Lorsque les Etats-Unis s'orientaient, dans les années 1980 et 1990, vers l'intolérance, je me suis battu contre les extrémistes. Je suis passé sur les radios et sur les chaînes de télévision pour combattre la censure que voulait mettre en place un groupe de femmes de sénateurs qui comprenait Tipper Gore, la femme du vice-président de l'époque, Al Gore. Et ce groupe a tenté de mettre fin à ma carrière.

Ai-je fait la différence ? Je ne sais pas. Mais si j'étais resté silencieux et avais abondé dans le sens de ces fondamentalistes d'extrême-droite, je n'aurais jamais pu me le pardonner. Les menaces sur la liberté d'expression et la tolérance athéniennes sont réelles. Je les vois aujourd'hui à l'oeuvre aux Etats-Unis. Et aussi en France.

Q : Comment expliquez-vous que cela ait pris quelques années à la presse américaine pour découvrir la puissance phénoménale de votre premier livre ?


H. B. : Le public l'a découvert progressivement. Ensuite la presse comme le Washington Post ou le Boston Globe ont écrit de très bonnes critiques. Mais vous savez, aux Etats-Unis, c'est le New York Times qui décide quels sont les bons et les mauvais livres. Si un article du NYT dit qu'un livre est bon, aussitôt des milliers d'autres journaux américains vont reprendre et encenser ce livre de la côte Est à la côte Ouest. Pour ma part, il semble que je suis ce que Wilson a écrit dans la préface du Principe de Lucifer tome 1 : « un hérétique parmi les hérétiques ». Autrement dit, je ne suis pas le type de penseur que le NYT va encenser. En revanche, les lecteurs du Principe de Lucifer en parlent à leurs amis. Et les amis en parlent à leurs amis. Certaines personnes achètent 10 copies pour les donner. Un banquier français en a acheté 35 pour les offrir. Un écrivain américain en a acheté 48 pour être sûr que chacun de ses amis le lirait. Agés de 60 ans, de 40, de 30 ou de 20, les gens le lisent. Quand le journaliste Dorion Sagan a rencontré sa petite amie en Ecosse, elle lui a dit « Le Principe de Lucifer a sauvé ma vie quand j'étais adolescente »... Alors vous voyez, même des adolescentes de 15 ans me lisent. Mes livres parlent aux gens. Et je suis en contact avec eux. Ils me disent « vos idées sont la réalisation exacte de tout ce que j'avais toujours pensé sans jamais être capable de le mettre en forme ».


Q : Quels sont, selon vous, les livres les plus importants ?


H. B. : Vous savez, mes livres ne sont pas nécessairement ceux que les gens considèrent comme les plus importants. Néanmoins, les livres qui ont le plus influencé l'Histoire sont l'Ancien Testament, les Vedas des Hindous et le Coran, tous des livres sanguinaires, parlant de conquêtes et de règles pour mener une société. Les oeuvres de Confucius ont permis de sculpter la culture chinoise ainsi que celle de ses satellites, la Corée, le Japon, Taiwan et Singapour. L'Illiade a eu une influence plus grande encore que ne le pensent la plupart des gens. Il fut une source d'inspiration d'Alexandre le Grand qui a voulu être Achille. Il a influencé Jules César qui a voulu être Alexandre le Grand. Il a influencé Napoléon qui a voulu être Jules César. Et il a influencé Adolphe Hitler qui a voulu être Napoléon. Ce que vous obtenez là est très intéressant. Certains livres disparaissent rapidement. D'autres durent très longtemps. Mais très peu arrivent à devenir les catalyseurs qui sculptent littéralement les sociétés et les convulsions de l'Histoire. Mais ce ne sont pas mes grands livres. La Bible a été très importante dans ma vie. Elle posait des questions et un défi. Pourquoi les humains trouvent-ils saint un livre qui promeut la violence ? Comment expliquez vous un livre dans lequel des gens voient des choses qui n'y figurent pas, et qui ne voient pas les choses qui y figurent ?? Cependant la Bible de mon enfance a été un livre d'astronomie sur la théorie du Big Bang et le Cosmos.



Q : Comment écrivez-vous vos livres et combien de temps cela vous prend-il ?


H. B. : Je développe chaque livre dans ma tête et surtout par tous mes écrits quotidiens, et ce depuis des années et même des décennies. Je regarde et écoute tout autour de moi, des informations scientifiques jusqu'aux fils de l'Agence France Presse ou de Reuters qui envoient des dépêches du monde entier. Et je fais particulièrement attention aux endroits auxquels justement personne ne prête attention. J'invite toutes sortes de gens à me rendre visite, penseurs, universitaires, chercheurs, activistes, artistes, journalistes, étudiants ou simplement des jeunes dans leur vingtaine qui ne savent pas qui ils sont, ni ce qu'ils veulent faire dans la vie.

Je parle avec des gens que je ne connais même pas. Je pense par exemple à cet anthropologue somalien, à cet oncologiste indien, à ce programmeur ou à ce groupe de rock rencontré il y a quelques jours. J'espionne les conversations. Je pilote deux groupes de discussions Internet en même temps. J'écoute toutes les nouvelles tendances de musique, de mode et de design automobile. Pendant 20 ans, une dame m'a lu à haute voix des magazines, des livres et des articles de journaux ou les enregistrait sur cassette. Même quand je fais simplement quelques pas entre une chambre et une autre, quand je prends mon bain, quand je fais de l'exercice ou quand je m'habille, j'écoute ces articles. Quand je mange, je regarde à la télé les chaînes scientifiques, d'histoire ou d'informations. Lorsque je dors, je passe sur la chaîne hifi des livres-cassettes ( des essais seulement ) ou je branche une chaîne câblée pour que mes insomnies éventuelles ne soient pas stériles.

Ensuite j'écris en permanence, ce qui explique pourquoi je n'ai pas de temps pour lire lorsque je suis allongé dans ma chambre, pièce que j'ai fini par transformer en bureau. J'ai deux ordinateurs à côté de mon lit avec un clavier amovible et que je ne suis pas obligé de tenir. Cela semble très décadent, mais c'est une adaptation à la maladie qui m'a frappé en 1988, l'encéphalomyélite myalgique, syndrome de fatigue chronique, une maladie sérieuse qui pendant cinq ans m'a rendu trop faible pour simplement tourner la page d'un hebdomadaire. Maintenant, j'ai découvert que si je respectais les limites de cette maladie, je peux travailler 12 heures par jour, 7 jours sur 7, et même me promener parfois dehors avec ma femme.

Il y a quelques années, j'avais planifié les cinq premiers livres de la série Principe de Lucifer. Mais chaque livre est différent. Pour écrire un livre, il importe de réinventer votre vie. Il vous faut inventer de nouvelles routines quotidiennes de travail pour correspondre à l'ouvrage que vous écrivez. J'ai rédigé le Principe de Lucifer en un an. Mais il m'a fallu une autre année pour le revoir et y ajouter les notes de bas de page. Ecrire celui-ci m'a pris trois ans et demi. J'ai du imaginer une nouvelle méthode pour gérer les notes de bas de page car à elles seules, elles pouvaient représenter 300 livres. Chaque chapitre m'a pris six semaines d'écriture. Et la recherche pour chacun revenait à (re)devenir étudiant et faire un cycle universitaire en trois semaines. C'était fascinant, mais extrêmement fatigant du point de vue cérébral. Après avoir terminé ce tome 2, j'avais passé trop de temps dans la communauté scientifique. Je m'exprimais dans le jargon des scientifiques, incompréhensible pour le commun des mortels. Et j'ai du réécrire tous les chapitres au moins quinze fois pour leur donner le style d'une conversation de tous les jours.

Mais en rédigeant le tome 2, il y a eu un autre tournant curieux : j'avais commencé à écrire en rimes. Au début j'étais même embarrassé. Mais c'était la façon dont les mots avaient insisté pour s'arranger d'eux-mêmes. Et j'ai envié Erasmus Darwin, le grand-père de Charles. Erasmus avait écrit l'un des premiers livres sur l'évolution, appelé Zoonomia. Mais la chose la plus curieuse est qu'Erasmus Darwin avait composé la totalité de son livre en couplets rimés. Je voulais avoir cette liberté. Et d'une certaine façon je l'ai obtenue. Maintenant, trois ans plus tard, les rimes me viennent naturellement.



Q : Vous basant sur vos deux livres, que souhaitez vous dire en particulier à vos lecteurs suisses, belges, canadiens et français ?


H. B. : Que nous nous trouvons à un point crucial de l'histoire. Les prochaines années pourraient voir la fin de la race humaine, au sens propre du terme. Les armes nucléaires vont passer entre les mains des cyber-nomades, des groupe guerriers mobiles qui utilisent les avions privés et Internet pour passer d'un pays à un autre. La philosophie de la Destruction Mutuelle qui a permis la paix pendant la Guerre froide est désormais obsolète. Ces raiders nucléaires ne possèdent pas de bases sur lesquels les missiles nucléaires français ou américains pourraient s'abattre. Ces fanatiques assassins croient que la Terre entière leur appartient parce qu'elle a été fabriquée par leur Dieu et qu'elle ne peut servir qu'à ceux qui s'inclinent devant ce Dieu.

La France est le pays que l'Occident écoute. La France guide l'élite intellectuelle, des Etats-Unis jusqu'au Cambodge. Si les Français disaient que tous les malheurs du monde proviennent du capitalisme et de l'industrialisation occidentales, tous les intellectuels américains diraient la même chose. Il est donc impératif que les intellectuels français affrontent les défis de ce nouveau siècle. Il est impératif qu'ils voient le danger. Il est impératif qu'ils voient pourquoi il est si important de préserver les fruits d'une révolution à laquelle les philosophes français ont tant contribué aux Etats-Unis, et aussi de préserver les idéaux de la Révolution française.

Les nomades nucléaires ont montré leur nature lorsqu'ils se sont emparés de l'Afghanistan et lorsqu'ils ont installé le régime taliban. La liberté d'expression a aussitôt disparu. Les cassettes et CD de musique, ainsi que livres ont été brûlés en place publique. Au moment de la guerre, l'Afghanistan a servi de passerelle à ces guerriers nomades, ces rejetons aristocrates de familles saoudiennes et égyptiennes richissimes. Ces hommes vivaient avec une multitude de femmes et possédaient autant de Mercedes et d'ordinateurs qu'ils voulaient. Pendant ce temps, les pauvres Afghans mouraient au front et leur servaient de chair à canon.

Tout système idéal promet qu'il va libérer les pauvres et les opprimés. C'est aussi la promesse de ces nomades nucléaires. Mais jusqu'à présent, un seul système a effectivement tenu cette promesse. Un seul système a pris une étoffe que seuls les rois pouvaient s'offrir il y a 300 ans et l'a démocratisé avec une telle abondance qu'aujourd'hui même les tribus au fin fond de l'Afrique le portent. C'est le coton. Un seul système aussi a produit un mouvement de protestation qui parle au nom des tribus indigènes et des pauvres. La protestation est un produit du mode de vie occidental.

Il s'agit d'un mode de vie qui vaut la peine d'être défendu. Notre première ligne de défense est la perception. Les batailles sont menés au niveau de l'attention. Et l'intelligentsia française mène ce ballet de perceptions, bien loin devant nous. J'espère que l'élite intellectuelle française va se réveiller et constater ce qu'elle a réussi à faire depuis le XVIIIe lorsque Rousseau et Voltaire écrivaient. J'espère qu'elle se rendra compte qu'elle a été à l'avant-garde d'une civilisation remarquable, la civilisation la plus libératrice de l'histoire humaine. J'espère qu'elle encouragera la survie de cette civilisation face à ces nouvelles philosophies fondamentalistes religieuses qui disposeront bientôt d'armes capables d'effacer des villes, des nations et de prendre en mains les rennes de l'Histoire.


Q: Il semble que cette citation du Christ « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas, on ôtera même ce qu'il a » est celle que vous préférez. Pourquoi? L'avez-vous expérimentée vous-même ?


H. B. : Elle m'a expérimenté. J'ai lu la Bible bien des fois après avoir réalisé que j'étais athée. A 17 ans, lors de ma dernière année de lycée, on nous avait demandé une sorte de thèse d'une centaine de pages. Tout le monde avait choisi un thème séculier. J'ai été le seul à traiter la différence entre Saint-Paul et Jésus. J'ai voulu montrer comment Saint-Paul avait eu des idées au nom de Jésus que ce dernier n'aurait jamais approuvées, et qu'il n'aurait d'ailleurs même pas comprises. Donc, les phrases bibliques trottaient souvent dans ma tête. Un an plus tard, j'ai été viré et j'ai passé mon temps sur la côte Ouest à bord de trains de marchandises à la recherche du Satori, la version mystique du Bouddhisme Zen. D'autres gens ont même quitté leur emploi pour me suivre car ils pensaient que j'avais des réponses. Puis j'ai quitté la côte Ouest et je suis parti là où il n'y avait pas d'amis, pas de gens qui me suivraient, pas de famille, bref personne, au Moyen-Orient.

Tard un vendredi soir, je me promenais dans les rues de Jérusalem, totalement seul et sans amis, marinant dans les acides de la dépression. Les rues étaient comme les corridors d'un donjon éclairé par la lune. Elles étaient encadrées par des murs hauts de un ou deux étages, les murs extérieurs des maisons en pierre qui serpentaient de part et d'autre de la rue pavée. Le ciel était éclairé par des étoiles qui semblaient glacées alors que les pavés étaient illuminés par la chaleur de la lumière provenant des fenêtres des maisons. Puis me parvinrent de ces fenêtres les chants des familles juives orthodoxes réunies autour d'une table, couverte d'une nappe et de bougies, pour célébrer l'arrivée d'une déesse de la joie, la reine Shabat.

Je pouvais entendre les chants, voir la lumière, mais je ne pouvais y participer. J'étais effondré parce que j'étais l'un de ceux qui, selon les mots de Jésus, « n'avait pas ». Ceux qui se trouvaient à l'intérieur étaient prospères parce qu'effectivement, « ils avaient ». Qu'était cette chose qu'ils avaient et que je n'avais pas ? La chaleur sociale.


J'ai repensé aux jours et aux mois passés. Lorsque j'étais déprimé, je me sentais trop inutile pour être vu par d'autres. Donc j'ai reculé. Et plus je reculais, plus les autres me faisaient peur. Plus je devenais timide, moins j'arrivais à parler lorsque les gens me demandaient quelque chose, et plus je voulais me cacher et me retirer du monde. Mais les gens dans ces maisons, ce qu'ils avaient, c'étaient les uns et les autres. Plus ils passaient du temps ensemble, plus ils se sentaient énergiques. Plus ils étaient énergiques, plus ils parlaient. Plus ils parlaient, plus les autres les appréciaient. Plus il y avait de la joie dans leurs yeux, plus ils devenaient enthousiastes. Et plus ils étaient enthousiastes, plus ils s'exprimaient avec facilité. C'était un cercle vicieux. La phrase « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas, on ôtera même ce qu'il a » m'avait intrigué. Je n'arrivais pas à saisir ce qu'elle voulait dire. Finalement, la nuit d'après, je l'ai comprise d'un seul coup. Et depuis, je la vois à l'oeuvre. Elle s'est même révélée en psychologie, en biologie, en histoire et dans la culture populaire. On la voit dans les cellules programmées à mourir et en psycho-neuro-immunologie. Elle est aussi présente dans l'évolution des étoiles et des galaxies.



Q : La dernière question : Avez-vous rencontré Lucifer ?


H. B. : Oui d'une certaine façon, lorsque je travaillais avec Michel Jackson et ses frères, j'ai trouvé les traces d'un authentique démon au travail, quelqu'un qui abîmait la carrière de Michael pour gagner de l'argent et gagner du pouvoir. Ses stratégies étaient si intelligentes qu'elles en étaient pratiquement invisibles. Son éclat semblait incroyable. Et il n'avait aucune règle morale. Il se moquait de ceux qu'il blessait. Dans ce sens, il était vraiment démoniaque.

Mais Lucifer se voit aussi tous les jours lorsque je lis dans la presse qu'un être humain a été tué sans aucune raison valable. Lucifer se voit dans chaque article parlant d'un désastre, d'une nouvelle maladie ou d'une guerre. Et Lucifer fait également irruption à la naissance de chaque bébé car au miracle de la vie s'ajoute une maladie fatale, puisque tout bébé finit par mourir.

Ensuite, il y a le Lucifer en vous et en moi, le moraliste passionné et idéaliste qui peut réaliser des choses extraordinaires s'il est bien utilisé. Mais un idéaliste et un moraliste passionné peuvent nous transformer très facilement en meurtriers. Comme il est dit dans Le Principe de Lucifer, le pire en nous peut être éveillé par la plus ironique des choses, celles de toutes nos meilleures qualités réunies.

___


*Auteur de Enquête sur l'Existence des Anges Gardiens* . A la lecture de la version américaine de Enquête sur l'Existence des Anges Gardiens, Howard Bloom a déclaré : «  Lucifer est à l'opposé des Anges Gardiens  livres sont tellement à l'opposé l'un de l'autre qu'au final, ils se touchent  ». Si l'on tient compte du fait que Lucifer est un Ange, le commentaire de Bloom prend tout son sens humoristique. Pour ceux qui aimeraient en savoir plus sur une autre définition ( non spirituelle ) de Lucifer, ils pourront lire avec passion et grand intérêt Mondes en Collision* de Velikovsky qui lui consacre plusieurs chapitres avec une explication exceptionnelle et qui est de loin la plus séduisante et la plus intelligente jamais formulée.







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