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Le Principe de Lucifer Tome 2 , Le Jardin des Livres
Interview de
Howard Bloom
effectuée en novembre 2003
Cette interview porte sur les idées exposées dans ses deux livres et répond aux principales questions posées par tous les lecteurs du premier tome.
Le Jardin des Livres tient particulièrement à remercier tous les librairies et les lecteurs de Howard Bloom qui ont parlé avec enthousiasme de son Tome 1, sachant que la presse française l'a royalement censuré. Logique, puisque Bloom est trop « politiquement incorrect » ...
Le jardin des Livres : En France, notre diffuseur a eu bien des soucis avec certaines librairies à cause du mot « Lucifer » dans le titre de votre livre. Beaucoup de libraires l'ont refusé et d'autres n'ont même pas voulu le mettre sur la table des nouveautés. Avez-vous eu un problème de identique avec le diffuseur de votre éditeur américain ?
Howard Bloom :
Q : Votre premier
livre Le Principe de Lucifer, Tome 1 est le plus grand
livre jamais écrit avec Introduction à la
Psychanalyse de Sigmund Freud. Pouvez-vous nous expliquer, avec
beaucoup de détails, comment le destin vous a-t-il poussé
à l'écrire ?
H. B. :
Enfant,
je n'étais pas non plus satisfait du futur qu'on m'avait
réservé. Tout le monde disait que je deviendrais un
professeur d'université. A 13 ans, mes centres d'intérêt
s'élargirent. A 30 ans, j'ai réalisé que les
choses les plus ordinaires que nous tenons pour acquises ( ces
émotions troublantes que nous ressentons souvent ) ne se
trouvaient pas sous mon nez mais derrière. Et une autre
chose voguait sur ces émotions : la religion que
nous ne comprenons pas non plus, mais tenons pour acquise. Je savais
que j'étais athée. Dans les églises pourtant,
les noirs étaient saisis par Dieu, contrôlés par
lui, secoués par des spasmes et projetés dans une
extase divine. Alors j'ai voulu connaître la raison de ces
passions, de ces exaltations et de la religion. Lorsque j'ai obtenu
mon diplôme, j'ai su que passer ma vie à faire des tests
en compagnie de 22 ou 2000 autres collègues étudiants
ne m'apporterait pas grand chose et que cela ne m'aiderait nullement
à comprendre ces passions, ces émotions, bref, ces
dieux intérieurs.
J'ai
donc fait comme Darwin, je suis parti dans une expédition
étrange et j'ai essayé de trouver une route qui
serpenterait entre toutes ces émotions curieuses que nous
avons tous en nous et que nous partageons dans des sortes de rites
tribaux. Et le Destin m'a donné un coup de pouce lorsque,
étudiant, on m'a demandé de m'occuper du magazine
littéraire de mon université ( Columbia ). Je
détestais les magazines littéraires, trop ennuyeux.
Alors je l'ai changé. Gros titres, photos, poésie,
fiction, plein de couleurs, etc., ce qui a déclenché la
fureur de la communauté artistique new-yorkaise. Mais le
magazine gagna deux prix de la National Academy of Poets. Et de fil
en aiguille je me suis retrouvé à la tête d'un
studio artistique dans lequel je ne travaillais que 50 heures par
semaine*,
me laissant suffisamment de temps pour travailler avec d'autres
journaux underground. Ensuite j'ai été amené à
m'occuper d'un journal dédié au rock and roll, musique
que je ne connaissais pas. Progressivement, j'ai fait toute ma
carrière dans ce monde, travaillant ensuite avec des gens
comme Michael Jackson, Prince, John Mellencamp, Bette Middler, Bob
Marley, Billy Joel, Paul Simon, Queen, Aerosmith, AC-DC, Kiss, Run
Dmc, etc.
Plus
vous vous élevez dans le « star-system »,
plus les règles du comportement humain semblent changer. Il y
a une folie autour des stars. Si vous travaillez avec l'une d'elles,
votre téléphone est bombardé de 300 appels ou
plus par jour. Et l'ascension est comme une drogue. Vos hormones
semblent être dopées et vous vous retrouvez à
travailler à des vitesses vertigineuses. C'est enivrant. Mais
cela peut aussi être dangereux. Si une crise s'installe à
10:00 h et qu'à 10:15 h vous ne l'avez pas réglée,
elle dégénère jusqu'à se retrouver en
gros titres dans la presse qui imprime souvent des âneries.
J'ai pu voir comment ce système d'âneries fonctionne
dans la presse et comment les journalistes se comportent très
souvent comme des moutons. Cela a été une leçon
pour moi et m'a éclairé sur le fonctionnement
mystérieux de nos dieux intérieurs.
A
l'apparition des micro-cassettes en 1981, j'ai acheté un
lecteur et j'ai commencé à dicter toutes mes idées
et toutes celles que je trouvais dans les journaux et les magazines
scientifiques. A chaque fois que j'en parlais à mes amis, ils
me disaient « tu devrais écrire un livre sur ce
que tu nous racontes ». J'ai ainsi rempli plus de 24
micro-cassettes représentant plus de 240 heures de notes qui
m'ont nécessité deux années à organiser
et retranscrire. A la fin, j'avais de quoi écrire au moins 6
livres. Alors j'ai profité de mes 10 jours de congé
annuels pour m'installer dans un hôtel de Santa Monica face à
l'océan Pacifique et c'est comme cela que j'ai écrit
les 15 premiers chapitres du Principe de Lucifer.
Q : Une
question commune des lecteurs et aussi de certains libraires :
comment expliquez-vous le fait que Lucifer se trouve dans le titre de
votre livre et qu'il ne soit mentionné qu'une seule fois sur
440 pages ?
H. B. : Cette
histoire remonte en 1979, un jour où je travaillais avec Peter
Gabriel, l'ex-chanteur du groupe Genesis. J'avais fondé la
plus grande compagnie de relations publiques spécialisé
dans le show-business « musique » et « films ».
C'était l'un des sept navires sur lequel j'effectuais mon
Voyage du Beagle*,
à la poursuite des dieux intérieurs. Peter
Gaïa est le nom qui désigne
« notre mère la Terre », la grande
déesse de la Nature, la Nature qui pourrait chaleureusement
nous prendre dans ses bras et nous nourrir, si seulement on arrêtait
d'abattre ses arbres. Mais c'est absurde. De quoi vivent les faucons
en haut de ces arbres ? Du meurtre. Ils vivent en tuant des
rats, des lapins, etc. Tout faucon qui refuse de tuer et qui devient
végétarien, serait malgré lui un tueur, qu'il le
veuille ou pas. Il mourrait de faim, et, s'il a des petits, ils
mourraient eux aussi de faim. La Nature n'est pas gentille. Elle ne
possède pas une seule once de bonté quand elle prend la
forme d'êtres humains et nous pousse à nous entre-tuer
soit dans des guerres, soit dans des génocides, qu'ils soient
ceux des nazis ou ceux des Hutus et des Tutsi. Et elle n'est pas plus
gentille quand elle tue des rats, des lapins, des dinosaures, ou tout
autre animal. Elle ne l'est pas d'avantage quand elle inflige un
génocide aux bactéries.
Certains diront que
les bactéries qui sont tombées comme des mouches
n'avaient qu'à s'en prendre à elles-mêmes. De
quel droit avaient-elles pollué l'atmosphère qui les
protégeait des rayons cosmiques ? Qui leur avait donné
l'audace de cracher un gaz corrosif ? Mais laissez-moi vous
donner le nom de ce gaz : c'était de l'oxygène. La
leçon de cette histoire est que tout poison peut un jour
devenir un trésor.
Q : Avec ce tome 2 du
Principe de Lucifer, on a l'impression que c'est la première
fois que nous touchons de près ce que la plupart des personnes
appellent « Dieu ». Votre « Cerveau
Global » est-il notre Dieu ?
H. B. :
La divinité supérieure
est ce à quoi, vous et moi sommes obligés d'aspirer,
ce qu'il nous faut devenir. Si Dieu a tout fait, il a fait la
tubulure de l'espace-temps. Lorsque celle-ci a déversé
une pluie de particules ( quarks, photons ) cet orage était
Dieu. Pourquoi ? Parce que Dieu était tout, et il est
tout. Dieu a tout fait, surtout cette force qui fit cette pluie de
choses qui n'avait jamais existé auparavant. Dieu était
la surface de l'espace et du temps d'où sont venues ces
particules. D'ailleurs Dieu était les particules elles-mêmes
et aussi le principe qui a déterminé où
elles ricocheraient lors de leur téléscopage dans la
collision ultra-rapide du premier plasma.
Dieu était aussi les
particules, la force qui a réuni, entre autres, les protons et
les neutrons et les nouvelles propriétés obtenues grâce
à leur mélange. Dieu était même le futur
qui se présentait à ces photons, les tirant d'un coup
en avant dans le temps, les transportant sur une route qui, presque
400.000 années plus tard, les mènerait à une
autre danse qu'elles exécuteront lorsque la vitesse du plasma
diminue et s'essouffle. Et cette nouvelle danse est un atome !
Le globe de cette Terre n'est apparu que 13 milliards d'années
après. Pourtant chacune de ces années est Dieu. Ce qui
veut dire que lorsque la Vie a débuté il y a 3,85
milliards d'années, cette Vie était Dieu prenant corps
d'une nouvelle façon. Cela signifie que lorsque cette Vie
primitive a commencé à communiquer à travers le
monde, ce qu'elle a fait très très tôt, Dieu
était cette communication. Dieu était le cerveau global
que cette communication fabriquait. Dieu était le nombre
incalculable de colonies bactériennes échangeant des
messages de protéines. Dieu était les milliards de
bactéries. Dieu était la naissance, la vie et la mort
de chaque nouvelle bactérie. Dieu était dans le tout,
Dieu était dans chaque partie. Dieu était dans le futur
qui n'était pas encore arrivé.
Des milliards d'années
plus tard, lorsque des protéines se sont entrelacées
sous la forme d'êtres humains, et des milliards d'années
encore plus tard lorsque des êtres humains se sont liés
ensemble dans une culture globale où on fabriquait des outils,
où on échangeait des pierres, où on domptait le
feu, où on gardait des électrons en les forçant
à circuler sur des pastilles de silicium, tout électron,
toute flamme, toute pierre et tout cerveau était Dieu.
Mais le cerveau global se trouve
aussi dans les étoiles que nous n'avons pas encore visitées,
dans les galaxies que nous n'avons encore jamais vues, et dans bien
d'autres choses que même les astrophysiciens aux idées
les plus audacieuses n'ont pas osé rêver. Dieu est dans
notre anéantissement, si nous laissons faire les terroristes
ayant des armes nucléaires. Dieu est aussi entre les mains et
dans les croyances de ces terroristes. Dieu est dans les visites que
nous ferons à de lointaines nébuleuses, si nous y
parvenons. Dieu est dans la manière dont nous nous
réorganiserons pour la paix, si nous en sommes capables. Le
cerveau global de cette petite planète est seulement une
partie de Dieu. Il y a bien plus de
Dieu déployé à travers les étoiles,
attendant que nous autres tissus d'êtres entrelacés
puissions l'apprivoiser et l'améliorer.
S'il
y a un Dieu. Mais Dieu est juste une aspiration. Dieu est notre
destinée nous faisant un signe. Dieu est un défi lancé
à notre bon vouloir, le défi de reconstruire une
planète, un cosmos, une culture, et un esprit. Dieu est le
défi de chevaucher tout ce que nous ne pouvons pas contrôler.
Pourquoi? Pour que nous puissions nous y atteler et le maîtriser.
Dieu est dans nos imaginations. Si Dieu est notre responsabilité,
si Dieu est seulement dans nos rêves, si Dieu est la danse
d'atomes et de molécules qui élaborent nos rêves,
alors existe-il vraiment un Dieu ? Ou existe-t-il simplement une
Nature qui se transforme éternellement en choses
toujours nouvelles et plus étranges?
Q : Dans son livre La
Divine connexion*,
le Dr Melvin Morse donne à votre « Cerveau
Global » un autre nom « les champs
morphiques » ( cf. Shaldrake etc. ). L'idée
ne vous est pas venue que ce « Cerveau Global »
puisse appartenir... à quelqu'un ??
H. B. : Non.
S'il y a un Dieu, il aurait dû être un cancre total pour
se donner les limites d'une personnalité humaine. J'attends
l e jour où vous et moi pourrons avoir l'équivalent
de 20 cerveaux fonctionnant en même temps. Je veux être
capable à la fois de séduire ma femme, d'écrire
3 livres, d'en lire 7 autres, de conduire une voiture, de
garder en mémoire tout ce que j'apprends et y avoir un accès
total rien qu'en y pensant, de mémoriser toute conversation
avec vous, et d'accéder immédiatement à tout
livre qui ait été écrit avec tous les faits et
idées dont j'ai besoin, au moment précis où j'en
ai besoin. Dieu voudrait-il moins ? En fait, Dieu aurait besoin
de beaucoup plus. Dieu est seulement quelqu'un au sens où il
est la somme de toute chose, et en conséquence il est multiple
et un. Ou il n'est rien et n'existe pas. Mais rien dépend de
tout, n'est-ce pas ?
Q : Dans votre
livre, vous dites que les gens qui sont des solitaires sont toujours
des perdants. Mais la Littérature et la Science regorgent de
« solitaires » qui ont fait des grandes
découvertes, et je pense sincèrement
que vous appartenez à cette catégorie, celle des
« solitaires ». Comment expliquez-vous
Howard Bloom « le solitaire » à la lueur
de votre propre livre ?
H. B. : Je n'ai
jamais dit que les solitaires sont toujours des perdants dans la
société. J'ai parlé de l'introverti faustien
une personnalité comme Pythagore qui n'était
pas à sa place chez lui à Samos. C'était un
intellectuel. Ses pairs étaient tous des sportifs tout en
muscles, des hommes fiers de leur
noble habileté à se battre, à manier des bateaux
sur les mers et à damer le pion aux galères ennemies.
Pythagore était un penseur et il ne convenait pas. Tout
simplement. Alors il quitta Samos et erra pendant 50 ans à la
recherche de la sagesse de ces gourous lointains. Puis il
revint à Samos où il fut à nouveau ignoré.
Du coup il repartit pour l'Italie et devint ce dont nombre de ses
compagnons avaient besoin, un meneur d'hommes et de femmes, validant
socialement tous ceux qui se trouvaient étranges, différents
des autres et qui ne se sentaient pas à leur place chez eux,
exactement comme Pythagore auparavant.
Q : Croyez-vous en Dieu ?
H. B. :
Personnellement, je ne crois pas en Dieu. Le poète américian
Archibald MacLeish a écrit « Si Dieu est bon, il
n'est pas Dieu. Si Dieu est Dieu, il n'est pas bon ».
Si Dieu est omnipotent et tout puissant, alors c'est un sadique.
Regardez toute la souffrance qu'il produit. Si Dieu est omniscient
alors quel est son intérêt à nous tester avec
toutes ces misères ? S'il est omniscient, alors il sait
exactement comment nous allons réagir avant même notre
naissance. Si Dieu est le savoir absolu, alors pourquoi commencer
l'Univers avec la Genèse ou le Big Bang ? Dieu connaît
forcément la suite. Il/Elle sait tout ce qui va sortir d'un
artiste, d'un prophète, d'un philosophe ou d'un scientifique
avant même qu'ils ne prononcent un mot. Pour nous, cela semble
un mystère, mais pas pour lui/elle qui connaît la fin de
toutes les histoires, y compris celles qui ne seront même
jamais contées.
Voici ce que j'ai
écrit il y a quelques années pour définir ce
paradoxe : « puisqu'il n'y a pas de Dieu, c'est à
nous de faire son travail. Dieu n'est pas un être, mais une
aspiration, un cadeau, une vision, un but à atteindre. Nous,
nous devons assumer la responsabilité de transformer cet
Univers en un lieu juste, transformer les peines en compréhension ,
les nouvelles visions en joie, permettre aux nouvelles générations
de toucher le ciel... C'est le travail d'une déité et
la déité c'est la puissance qui réside en
nous ».
Q : Pour nous aider à
comprendre Howard Bloom l'écrivain, quel est le souvenir le
plus important de votre vie ?
H. B. :
Une après-midi, lorsque j'avais 10 ans et que je me trouvais
seul dans l'immense maison familiale à Buffalo, dans l'Etat de
New York. Ma chambre était plongée dans l'obscurité
à cause des lourds rideaux devant les fenêtres. J'avais
un livre entre mes mains et je ne savais pas ce que c'était.
Mon oncle me l'avait offert. Le livre parlait de science et racontait
le combat de Galilée contre le Pape, puis donnait cette
définition de la science : « la
vérité à tout prix, y compris le prix de votre
vie ». Le livre
présentait Galilée comme quelqu'un d'héroïque
qui avait risqué sa vie au nom de ses idées, sans
toutefois parler de ses compromissions. Mais à ce moment là,
j'avais besoin d'héroïsme et ce livre m'a totalement
changé. Cet après-midi, la science devint ma religion.
Mais pour revenir à Dieu, je repense à ces autres notes
à ce sujet : si Dieu est le Cosmos, alors je crois en
Dieu. Si Dieu est le processus créatif appelé
Evolution, alors je crois en Dieu. Si Dieu est ces 13,7 milliards
d'années d'essais et d'erreurs qui ont produit la pensée,
alors je crois en Dieu. Mais si Dieu est satisfait de la mort et des
meurtres qui ont lieu depuis le début de la vie, voici 3,5
milliards d'années, alors je refuse de croire en Dieu. Si
l'Univers persiste à générer de la souffrance,
alors je crois que le seul Dieu, la seule force qui va nous entraîner
vers une existence plus humaine est la force combinée de vous
et de moi.
Q : Selon le tome 2
du Principe de Lucifer, une société a toujours
deux choix, entre la Spartiate et l'Athénienne. Mais si nous
prenons l'exemple de l'empire britannique du tome 1, il semble qu'une
société passe toujours alternativement d'un état
à l'autre. Avons-nous vraiment un choix ?
H. B. :
Ai-je fait la
différence ? Je ne sais pas. Mais si j'étais resté
silencieux et avais abondé dans le sens de ces
fondamentalistes d'extrême-droite, je n'aurais jamais pu me le
pardonner. Les menaces sur la liberté d'expression et la
tolérance athéniennes sont réelles. Je les vois
aujourd'hui à l'oeuvre aux Etats-Unis. Et aussi en France.
Q : Comment
expliquez-vous que cela ait pris quelques années à la
presse américaine pour découvrir la puissance
phénoménale de votre premier livre ?
H. B. :
Le public l'a découvert progressivement. Ensuite la presse
comme le Washington Post ou le Boston Globe ont écrit
de très bonnes critiques. Mais vous savez, aux Etats-Unis,
c'est le New York Times qui décide quels sont les bons
et les mauvais livres. Si un article du NYT dit qu'un livre est bon,
aussitôt des milliers d'autres journaux américains vont
reprendre et encenser ce livre de la côte Est à la côte
Ouest. Pour ma part, il semble que je suis ce que Wilson a écrit
dans la préface du Principe de Lucifer tome 1 :
« un hérétique parmi les hérétiques ».
Autrement dit, je ne suis pas le type de penseur que le NYT va
encenser. En revanche, les lecteurs du Principe de Lucifer en
parlent à leurs amis. Et les amis en parlent à leurs
amis. Certaines personnes achètent 10 copies pour les donner.
Un banquier français en a acheté 35 pour les offrir. Un
écrivain américain en a acheté 48 pour être
sûr que chacun de ses amis le lirait. Agés de 60 ans, de
40, de 30 ou de 20, les gens le lisent. Quand le journaliste Dorion
Sagan a rencontré sa petite amie en Ecosse, elle lui a dit
« Le Principe de Lucifer a sauvé ma vie quand
j'étais adolescente »... Alors vous voyez, même
des adolescentes de 15 ans me lisent. Mes livres parlent aux gens. Et
je suis en contact avec eux. Ils me disent « vos idées
sont la réalisation exacte de tout ce que j'avais toujours
pensé sans jamais être capable de le mettre en forme ».
Q : Quels sont, selon
vous, les livres les plus importants ?
H. B. :
Vous savez, mes livres ne sont pas nécessairement ceux que les
gens considèrent comme les plus importants. Néanmoins,
les livres qui ont le plus influencé l'Histoire sont l'Ancien
Testament, les Vedas des Hindous et le Coran, tous
des livres sanguinaires, parlant de conquêtes et de règles
pour mener une société. Les oeuvres de Confucius ont
permis de sculpter la culture chinoise ainsi que celle de ses
satellites, la Corée, le Japon, Taiwan et Singapour. L'Illiade
a eu une influence plus grande encore que ne le pensent la plupart
des gens. Il fut une source d'inspiration d'Alexandre le Grand qui a
voulu être Achille. Il a influencé Jules César
qui a voulu être Alexandre le Grand. Il a influencé
Napoléon qui a voulu être Jules César. Et il a
influencé Adolphe Hitler qui a voulu être Napoléon.
Ce que vous obtenez là est très intéressant.
Certains livres disparaissent rapidement. D'autres durent très
longtemps. Mais très peu arrivent à devenir les
catalyseurs qui sculptent littéralement les sociétés
et les convulsions de l'Histoire. Mais ce ne sont pas mes grands
livres. La Bible a été très importante
dans ma vie. Elle posait des questions et un défi. Pourquoi
les humains trouvent-ils saint un livre qui promeut la violence ?
Comment expliquez vous un livre dans lequel des gens voient des
choses qui n'y figurent pas, et qui ne voient pas les choses qui y
figurent ?? Cependant la Bible de mon enfance a été
un livre d'astronomie sur la théorie du Big Bang et le Cosmos.
Q : Comment
écrivez-vous vos livres et combien de temps cela vous
prend-il ?
H. B. : Je
développe chaque livre dans ma tête et surtout par tous
mes écrits quotidiens, et ce depuis des années et même
des décennies. Je regarde et écoute tout autour de moi,
des informations scientifiques jusqu'aux fils de l'Agence France
Presse ou de Reuters qui envoient des dépêches du monde
entier. Et je fais particulièrement attention aux endroits
auxquels justement personne ne prête attention. J'invite toutes
sortes de gens à me rendre visite, penseurs, universitaires,
chercheurs, activistes, artistes, journalistes, étudiants ou
simplement des jeunes dans leur vingtaine qui ne savent pas qui ils
sont, ni ce qu'ils veulent faire dans la vie.
Je parle avec des
gens que je ne connais même pas. Je pense par exemple à
cet anthropologue somalien, à cet oncologiste indien, à
ce programmeur ou à ce groupe de rock rencontré il y a
quelques jours. J'espionne les conversations. Je pilote deux groupes
de discussions Internet en même temps. J'écoute toutes
les nouvelles tendances de musique, de mode et de design automobile.
Pendant 20 ans, une dame m'a lu à haute voix des magazines,
des livres et des articles de journaux ou les enregistrait sur
cassette. Même quand je fais simplement quelques pas entre une
chambre et une autre, quand je prends mon bain, quand je fais de
l'exercice ou quand je m'habille, j'écoute ces articles. Quand
je mange, je regarde à la télé les chaînes
scientifiques, d'histoire ou d'informations. Lorsque je dors, je
passe sur la chaîne hifi des livres-cassettes ( des essais
seulement ) ou je branche une chaîne câblée
pour que mes insomnies éventuelles ne soient pas stériles.
Ensuite j'écris
en permanence, ce qui explique pourquoi je n'ai pas de temps pour
lire lorsque je suis allongé dans ma chambre, pièce que
j'ai fini par transformer en bureau. J'ai deux ordinateurs à
côté de mon lit avec un clavier amovible et que je ne
suis pas obligé de tenir. Cela semble très décadent,
mais c'est une adaptation à la maladie qui m'a frappé
en 1988, l'encéphalomyélite myalgique, syndrome de
fatigue chronique, une maladie sérieuse qui pendant cinq ans
m'a rendu trop faible pour simplement tourner la page d'un
hebdomadaire. Maintenant, j'ai découvert que si je respectais
les limites de cette maladie, je peux travailler 12 heures par jour,
7 jours sur 7, et même me promener parfois dehors avec ma
femme.
Il y a quelques
années, j'avais planifié les cinq premiers livres de la
série Principe de Lucifer. Mais chaque livre est
différent. Pour écrire un livre, il importe de
réinventer votre vie. Il vous faut inventer de nouvelles
routines quotidiennes de travail pour correspondre à l'ouvrage
que vous écrivez. J'ai rédigé le Principe de
Lucifer en un an. Mais il m'a fallu une autre année pour
le revoir et y ajouter les notes de bas de page. Ecrire celui-ci m'a
pris trois ans et demi. J'ai du imaginer une nouvelle méthode
pour gérer les notes de bas de page car à elles seules,
elles pouvaient représenter 300 livres. Chaque chapitre m'a
pris six semaines d'écriture. Et la recherche pour chacun
revenait à (re)devenir étudiant et faire un cycle
universitaire en trois semaines. C'était fascinant, mais
extrêmement fatigant du point de vue cérébral.
Après avoir terminé ce tome 2, j'avais passé
trop de temps dans la communauté scientifique. Je m'exprimais
dans le jargon des scientifiques,
incompréhensible pour le commun des
mortels. Et j'ai du réécrire tous les chapitres au
moins quinze fois pour leur donner le style d'une conversation de
tous les jours.
Mais
en rédigeant le tome 2, il y a eu un autre tournant
curieux : j'avais commencé à écrire
en rimes. Au début j'étais même embarrassé.
Mais c'était la façon dont les mots avaient insisté
pour s'arranger d'eux-mêmes. Et j'ai envié Erasmus
Darwin, le grand-père de Charles. Erasmus avait écrit
l'un des premiers livres sur l'évolution, appelé
Zoonomia. Mais la chose la plus curieuse est qu'Erasmus Darwin
avait composé la totalité de son livre en couplets
rimés. Je voulais avoir cette liberté. Et d'une
certaine façon je l'ai obtenue. Maintenant, trois ans plus
tard, les rimes me viennent naturellement.
Q : Vous basant sur vos
deux livres, que souhaitez vous dire en particulier à vos
lecteurs suisses, belges, canadiens et français ?
H. B. :
Que nous nous trouvons à un point crucial de l'histoire. Les
prochaines années pourraient voir la fin de la race humaine,
au sens propre du terme. Les armes nucléaires vont passer
entre les mains des cyber-nomades, des groupe guerriers mobiles qui
utilisent les avions privés et Internet pour passer d'un pays
à un autre. La philosophie de la Destruction Mutuelle qui
a permis la paix pendant la Guerre froide est désormais
obsolète. Ces raiders nucléaires ne possèdent
pas de bases sur lesquels les missiles nucléaires français
ou américains pourraient s'abattre. Ces fanatiques assassins
croient que la Terre entière leur appartient parce qu'elle a
été fabriquée par leur Dieu et qu'elle ne peut
servir qu'à ceux qui s'inclinent devant ce Dieu.
La France est le
pays que l'Occident écoute. La France guide l'élite
intellectuelle, des Etats-Unis jusqu'au Cambodge. Si les Français
disaient que tous les malheurs du monde proviennent du capitalisme et
de l'industrialisation occidentales, tous les intellectuels
américains diraient la même chose. Il est donc impératif
que les intellectuels français affrontent les défis de
ce nouveau siècle. Il est impératif qu'ils voient le
danger. Il est impératif qu'ils voient pourquoi il est si
important de préserver les fruits d'une révolution à
laquelle les philosophes français ont tant contribué
aux Etats-Unis, et aussi de préserver les idéaux de la
Révolution française.
Les nomades
nucléaires ont montré leur nature lorsqu'ils se sont
emparés de l'Afghanistan et lorsqu'ils ont installé le
régime taliban. La liberté d'expression a aussitôt
disparu. Les cassettes et CD de musique, ainsi que livres ont été
brûlés en place publique. Au moment de la guerre,
l'Afghanistan a servi de passerelle à ces guerriers nomades,
ces rejetons aristocrates de familles saoudiennes et égyptiennes
richissimes. Ces hommes vivaient avec une multitude de femmes et
possédaient autant de Mercedes et d'ordinateurs qu'ils
voulaient. Pendant ce temps, les pauvres Afghans mouraient au front
et leur servaient de chair à canon.
Tout système
idéal promet qu'il va libérer les pauvres et les
opprimés. C'est aussi la promesse de ces nomades nucléaires.
Mais jusqu'à présent, un seul système a
effectivement tenu cette promesse. Un seul système a pris une
étoffe que seuls les rois pouvaient s'offrir il y a 300 ans et
l'a démocratisé avec une telle abondance qu'aujourd'hui
même les tribus au fin fond de l'Afrique le portent. C'est le
coton. Un seul système aussi a produit un mouvement de
protestation qui parle au nom des tribus indigènes et des
pauvres. La protestation est un produit du mode de vie occidental.
Il s'agit d'un mode
de vie qui vaut la peine d'être défendu. Notre première
ligne de défense est la perception. Les batailles sont menés
au niveau de l'attention. Et l'intelligentsia française mène
ce ballet de perceptions, bien loin devant nous. J'espère que
l'élite intellectuelle française va se réveiller
et constater ce qu'elle a réussi à faire depuis le
XVIIIe lorsque Rousseau et Voltaire écrivaient.
J'espère qu'elle se rendra compte qu'elle a été
à l'avant-garde d'une civilisation remarquable, la
civilisation la plus libératrice de l'histoire humaine.
J'espère qu'elle encouragera la survie de cette civilisation
face à ces nouvelles philosophies fondamentalistes religieuses
qui disposeront bientôt d'armes capables d'effacer des villes,
des nations et de prendre en mains les rennes de l'Histoire.
Q: Il semble que cette
citation du Christ « Car on donnera à celui qui
a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas, on
ôtera même ce qu'il a » est celle que vous
préférez. Pourquoi? L'avez-vous expérimentée
vous-même ?
H. B. :
Elle m'a expérimenté. J'ai lu la Bible bien des fois
après avoir réalisé que j'étais athée.
A 17 ans, lors de ma dernière année de lycée, on
nous avait demandé une sorte de thèse d'une centaine de
pages. Tout le monde avait choisi un thème séculier.
J'ai été le seul à traiter la différence
entre Saint-Paul et Jésus. J'ai voulu montrer comment
Saint-Paul avait eu des idées au nom de Jésus que ce
dernier n'aurait jamais approuvées, et qu'il n'aurait
d'ailleurs même pas comprises. Donc, les phrases bibliques
trottaient souvent dans ma tête. Un an plus tard, j'ai été
viré et j'ai passé mon temps sur la côte Ouest à
bord de trains de marchandises à la recherche du Satori, la
version mystique du Bouddhisme Zen. D'autres gens ont même
quitté leur emploi pour me suivre car ils pensaient que
j'avais des réponses. Puis j'ai quitté la côte
Ouest et je suis parti là où il n'y avait pas d'amis,
pas de gens qui me suivraient, pas de famille, bref personne, au
Moyen-Orient.
Tard un vendredi
soir, je me promenais dans les rues de Jérusalem, totalement
seul et sans amis, marinant dans les acides de la dépression.
Les rues étaient comme les corridors d'un donjon éclairé
par la lune. Elles étaient encadrées par des murs hauts
de un ou deux étages, les murs extérieurs des maisons
en pierre qui serpentaient de part et d'autre de la rue pavée.
Le ciel était éclairé par des étoiles qui
semblaient glacées alors que les pavés étaient
illuminés par la chaleur de la lumière provenant des
fenêtres des maisons. Puis me parvinrent de ces fenêtres
les chants des familles juives orthodoxes réunies autour d'une
table, couverte d'une nappe et de bougies, pour célébrer
l'arrivée d'une déesse de la joie, la reine Shabat.
Je pouvais entendre
les chants, voir la lumière, mais je ne pouvais y participer.
J'étais effondré parce que j'étais l'un de ceux
qui, selon les mots de Jésus, « n'avait pas ».
Ceux qui se trouvaient à l'intérieur étaient
prospères parce qu'effectivement, « ils
avaient ». Qu'était cette chose qu'ils avaient
et que je n'avais pas ? La chaleur sociale.
J'ai repensé
aux jours et aux mois passés. Lorsque j'étais déprimé,
je me sentais trop inutile pour être vu par d'autres. Donc j'ai
reculé. Et plus je reculais, plus les autres me faisaient
peur. Plus je devenais timide, moins j'arrivais à parler
lorsque les gens me demandaient quelque chose, et plus je voulais me
cacher et me retirer du monde. Mais les gens dans ces maisons, ce
qu'ils avaient, c'étaient les uns et les autres. Plus ils
passaient du temps ensemble, plus ils se sentaient énergiques.
Plus ils étaient énergiques, plus ils parlaient. Plus
ils parlaient, plus les autres les appréciaient. Plus il y
avait de la joie dans leurs yeux, plus ils devenaient enthousiastes.
Et plus ils étaient enthousiastes, plus ils s'exprimaient avec
facilité. C'était un cercle vicieux. La phrase « Car
on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à
celui qui n'a pas, on ôtera même ce qu'il a »
m'avait intrigué. Je n'arrivais pas à saisir ce qu'elle
voulait dire. Finalement, la nuit d'après, je l'ai comprise
d'un seul coup. Et depuis, je la vois à l'oeuvre. Elle s'est
même révélée en psychologie, en biologie,
en histoire et dans la culture populaire. On la voit dans les
cellules programmées à mourir et en
psycho-neuro-immunologie. Elle est aussi présente dans
l'évolution des étoiles et des galaxies.
Q : La dernière
question : Avez-vous rencontré Lucifer ?
H. B. : Oui
d'une certaine façon, lorsque je travaillais avec Michel
Jackson et ses frères, j'ai trouvé les traces d'un
authentique démon au travail, quelqu'un qui abîmait la
carrière de Michael pour gagner de l'argent et gagner du
pouvoir. Ses stratégies étaient si intelligentes
qu'elles en étaient pratiquement invisibles. Son éclat
semblait incroyable. Et il n'avait aucune règle morale. Il se
moquait de ceux qu'il blessait. Dans ce sens, il était
vraiment démoniaque.
Mais Lucifer se voit aussi tous
les jours lorsque je lis dans la presse qu'un être humain a été
tué sans aucune raison valable. Lucifer se voit dans chaque
article parlant d'un désastre, d'une nouvelle maladie ou d'une
guerre. Et Lucifer fait également irruption à la
naissance de chaque bébé car au miracle de la vie
s'ajoute une maladie fatale, puisque tout bébé finit
par mourir.
Ensuite, il y a le Lucifer en
vous et en moi, le moraliste passionné et idéaliste qui
peut réaliser des choses extraordinaires s'il est bien
utilisé. Mais un idéaliste et un moraliste passionné
peuvent nous transformer très facilement en meurtriers. Comme
il est dit dans Le Principe de Lucifer, le pire en nous peut
être éveillé par la plus ironique des choses,
celles de toutes nos meilleures qualités réunies.
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