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Tous les chapitres disponibles par Tome (clicquer la couverture) Tables des Matières du Tome I
C h a p i t r e 1
La lévitation Dans son livre désormais classique, le père Herbert Thurston dit de la lévitation qu'elle est « un miracle physique fréquent dans les hagiographies, sujet qui se prête particulièrement à l'étude » 2. Si le récit des Actes des Apôtres illustre d'une certaine façon ce prodige, l'ascension corporelle du Christ ressuscité transcende le fait miraculeux lui-même, et la contemplation du mystère est susceptible de nous ouvrir à une lecture spirituelle et théologique de l'événement. Donc de nous faire comprendre sa signification dans l'ordre de la phénoménologie mystique.
De ce prodige - le plus spectaculaire parmi ceux que connaît l'histoire de la spiritualité chrétienne -, nous avons l'assurance qu'il est le plus objectif aussi, parce qu'il ne se prête ni à l'illusion, ni à la fraude : dès lors que les témoignages sont suffisants, il est impossible d'en nier l'évidence, alors qu'aucune des autres manifestations extraordinaires du mysticisme n'est à l'abri de contrefaçons ou de plagiats (volontaires ou non), ni de tentatives d'explication excluant une intervention supérieure aux forces naturelles connues. De surcroît, le fait de la lévitation est simple, et donc sujet moins que d'autres phénomènes à amplification ou à interprétation : Maman, une femme qui vole ! Dans les premières années du XX° siècle, Edwige Carboni (1880-1952) - une laïque stigmatisée que de son vivant déjà d'éminents ecclésiastiques tenaient pour une sainte - mettait en émoi son village natal :
Le phénomène accompagna Edvige durant toute sa vie, avec une telle fréquence que les procès informatifs en vue de sa béatification nous proposent sur ce point nombre de témoignages circonstanciés.
Assez semblables, par le contexte et les réactions qu'elles suscitèrent, sont les lévitations de la Vénérable Eusebia Palomino Yenes (1899-1935), religieuse espagnole des Filles de Marie Auxiliatrice :
De semblables prodiges sont relatés dans la biographie du Vénérable Felice Maria Ghebre Amlak (1885-1934), cistercien d'origine érythréenne mort en Italie. Peu avoir été ordonné prêtre en 1918, et se trouvant encore dans son pays natal, il fut régulièrement sujet à des lévitations lors de la célébration de l'eucharistie :
Le servant de messe en était saisi d'une crainte révérencielle, et après s'être incliné, il se retirait pour cacher son émotion. Ce témoignage en est un parmi nombre d'autres signalant la fréquence du phénomène dans cette existence relativement brève, alors que le bienheureux André Bessette, religieux de Sainte-Croix à Montréal mort à l'âge de 82 ans en 1937, semble n'avoir été durant sa longue vie que rarement sujet à la lévitation :
La réalité de faits du même ordre a été prouvée indubitablement chez d'autres saints personnages du XX° siècle. En voici un dernier exemple, signalé par un saint qui en fut le témoin :
Nous devons ce témoignage au bienheureux Luigi Orione (1872-1940), fondateur de la congrégation à laquelle appartenait le Vénérable Cesare Pisano (1900-1964), en religion frère Ave Maria).
Tradition hagiographique et signification spirituelle Miracle assez fréquent et fort ancien dans la tradition hagiographique chrétienne, la lévitation se rencontre à peu près dans toutes les aires socio-religieuses depuis l'Antiquité :
Est-ce en raison de cette fréquence que le prodige, pourtant extraordinaire, heurte moins que d'autres nos mentalités pétries de cartésianisme ? Témoin l'anecdote suivante : une personne avait le plus grand mal à admettre que Jésus ait marché sur les eaux du lac de Tibériade, mais elle était tout à fait disposée à concevoir que cela fût possible dès lors qu'il s'agissait d'un phénomène de lévitation qui eût maintenu son corps soulevé à fleur d'onde. Parce qu'elle est un prodige plus objectif que tous les autres, la lévitation est plus crédible. Et parce que nous savons plus ou moins qu'elle existe dans les spiritualités orientales. Or, dans l'épisode de la marche sur les eaux, il s'agit d'un phénomène d'un tout autre ordre : le pouvoir sur les éléments. Peut-être Hélène Renard est-elle trop tributaire de l'esprit critique d'Olivier Leroy et des limites qu'il a imparties à sa remarquable étude sur la lévitation, lorsqu'elle écrit :
Leroy étudiait la question dans la première moitié du XX° siècle et, hormis de rares exemples, il n'a pris en compte que les Acta Sanctorum. Il conviendrait d'exploiter l'immense domaine que constituent les procès informatifs ouverts sur des milliers de serviteurs de Dieu en vue de leur béatification, et le non moins vaste terrain de la mystique ordinaire - si je puis dire ! -, dont les représentants n'ont guère de chance de connaître un jour la gloire des autels. C'est la démarche qui a guidé cette étude, avec les limites que constitue l'impossibilité de réunir une documentation complète et à jour, plusieurs causes de béatification étant encore dans leur phase informative (où les témoignages, recueillis sub secreto, sont inaccessibles), et chaque jour apportant la révélation de nouveaux cas jusque-là ignorés ou tenus dans une extrême discrétion. Dans l'éventail de la phénoménologie mystique, la lévitation est un fait attesté fort anciennement - bien avant la stigmatisation, par exemple -, moins rare que d'autres manifestations extraordinaires, telles la bilocation, l'inédie ou l'invisibilité. Ecrivant à peu près à la même époque que Leroy, et travaillant sur des bases quasi identiques, Thurston recense pour sa part plus de deux cents cas de lévitation dont les preuves, pour le tiers d'entre eux, « sont à tout le moins respectables ». En étudiant la liste des 305 personnes ayant vécu aux XIX° et XX° siècle qui ont été béatifiées à ce jour (juin 2001) - à l'exception des martyrs, isolés ou en groupes -, j'ai relevé que 26 d'entre elles ont présenté dans leur existence des phénomènes de lévitation, soit 8,5% du nombre total. Encore n'ai-je retenu que les cas signalés par des témoignages nombreux et incontestables. La même proportion se retrouve chez les serviteurs de Dieu dont la cause de béatification est introduite.
Pour les exemples anciens, les preuves sont loin d'être toujours convaincantes. Il y a eu pendant longtemps chez les hagiographes le souci - dans un but d'édification, et c'était bien là une des raisons d'être des légendes (étymologiquement, legenda : récit destiné à être lu) - de couler dans un moule idéal les personnages dont ils relataient la vie : puisque le sujet est saint, il importe qu'il ait connu telle expérience ou présenté tel type de phénomène extraordinaire, tenus pour autant de signes de sainteté. Cette préoccupation des nécessités apologétiques n'était pas toujours compatible avec un réel sens critique : abordant le sujet, Thurston expose les difficultés soulevées par le caractère tardif ou fragmentaire de témoignages relatifs aux lévitations alléguées de saints aussi éminents que François d'Assise, Dominique, et même Ignace de Loyola et François-Xavier. Il n'en reste pas moins qu'une négation systématique de la réalité du prodige est tout à fait vaine, car elle ne résiste pas, dans les cas les mieux établis, à la solidité des témoignages :
Saint Joseph de Copertino L'hagiographie connaît plusieurs exemples anciens de lévitations dont on ne saurait sans parti pris ou mauvaise foi contester la réalité, tant sont décisifs le nombre, la valeur et la convergence des témoignages s'y rapportant. Le lévitant le plus célèbre est Joseph de Copertino, le saint volant. Lorsque le prodige eut lieu pour la première fois, dans l'église de Copertino - c'était le 4 octobre 1630, aux vêpres de saint François -, Joseph Desa était âgé de vingt-sept ans. Entré cinq ans auparavant chez les Conventuels de son village natal, il avait connu bientôt après son ordination sacerdotale une douloureuse nuit de l'esprit  puis, à deux années de désolation spirituelle ininterrompue, avait succédé la consolation d'extases parfois fort longues, caractérisées par une délicate intimité avec la Vierge Marie. Si l'on se réfère aux classifications thérésienne et sanjuaniste des étapes de la vie intérieure, il abordait alors les sixièmes demeures du château intérieur, degré d'union à Dieu caractérise parfois par de fréquentes extases fonctionnelles. La première lévitation coïncida avec le début d'une extase plus profonde que les précédentes, un ravissement ou vol de l'esprit : poussant un grand cri, Joseph fut soulevé plus haut que la chaire, au-dessus d'une foule d'abord stupéfaite - on l'eût été à moins ! -, puis enthousiaste, comme on sait l'être en Italie méridionale. A partir de ce jour, le prodige se reproduisit en public une bonne centaine de fois, jusque moins d'un mois avant sa mort le 18 septembre 1663. Ces faits spectaculaires le remplissaient de confusion, et, revenu à luià et sur la terre ferme, soit spontanément, soit en vertu d'un ordre de ses supérieurs, il s'enfuyait dans sa cellule pour s'y cacher et y pleurer. Il suffisait d'un rien pour occasionner ces extases accompagnées de lévitation : la célébration de la messe, bien sûr, mais aussi un chant d'oiseau, la vue d'une image sainte, une parole de l'Ecriture, un propos sur l'amour de Dieu. Joseph s'efforçait de résister à l'attraction qui le soulevait au-dessus du sol, mais le phénomène - toujours signalé par un grand cri - était d'autant plus éclatant qu'il tentait de s'y dérober : vols rapides à vingt palmes (près de 4 mètres !) de hauteur, transports aériens à travers l'église, ascensions vertigineuses jusqu'à telle ou telle statue, ou vers le tabernacle. On venait en foule pour contempler le prodige, que des milliers de personnes, gens du peuple, religieux, évêques et cardinaux, princes et grands de ce monde accourus de toute l'Italie, d'Espagne et même de Pologne, purent voir de leurs propres yeux, parfois avec épouvante, le plus souvent avec un enthousiasme délirant qui n'empêchait nullement les spectateurs d'être fort édifiée, et de se convertir à l'occasion.
Bien entendu, le terrible Saint-Office réagit promptement : tantôt redoutant un artifice du démon, tantôt craignant une explosion de fanatisme populaire, il prit de rigoureuses mesures d'isolement pour soustraire le pauvre moine à la curiosité indiscrète des foules. Cela ne fit que mettre en évidence la sainteté de Joseph et souligner le caractère sensationnel des lévitations. Les phénomènes les plus remarquables eurent lieu lors de sa réclusion à Assise (1639-1646), devant la statue de l'Immaculée Conception qui est dans la basilique Saint-François.
A la lecture de la biographie, fort bien documentée, que Gustavo Parisciani a consacrée à Joseph de Copertino, on reste stupéfait - tout comme l'auteur, qui a puisé aux sources les plus fiables - devant la prodigalité divine dans ces lévitations du saint, qu'accompagnaient d'autres phénomènes et charismes éclatants. Et pourtant :
Cause pour Joseph de Copertino de vifs tourments intérieurs, ces lévitations lui furent l'occasion d'entrer toujours plus avant dans les voies de l'humilité, de l'obéissance et du détachement de soi-même. Elles s'avérèrent un instrument - non des moindres - de sa sanctification, autant qu'un signe de l'éminente sainteté à laquelle, fort jeune encore, il était parvenu.
Quelques cas remarquables du XIX° siècle L'exploration des sources hagiographiques permet au chercheur de découvrir pour le XIX° siècle quelques faits de lévitation peu connus, qui présentent un intérêt indéniable, tant par la qualité et la fiabilité des témoignages, que par la richesse et la complexité du phénomène. En voici quelques exemples des plus intéressants, parmi des dizaines d'autres. Avant de fonder l'institut des Carmélites de la Charité, Joaquina de Vedruna (1783-1854) fut la jeune et charmante épouse de Teodoro de Mas, riche notable de Vich, en Catalogne. La mort prématurée de son mari, tendrement aimé, donna une nouvelle impulsion à sa vie intérieure, déjà signalée par une solide piété : sans négliger le moins du monde l'éducation de ses six enfants, sans les frustrer de la plus infime parcelle de tendresse maternelle, elle régla ses journées de façon à se ménager de longues heures d'oraison et à pouvoir s'adonner aux oeuvres de charité autant qu'à de rudes pénitences. Elle nota à cette époque (1816-17) une totale transformation de son âme, que manifestèrent bientôt extases et ravissements accompagnés de lévitations. Ces phénomènes jalonnèrent le reste de son existence et eurent, malgré les soins qu'elle employait à les celer, de nombreux témoins :
Ces lévitations présentaient la particularité de s'accompagner presque toujours de manifestations lumineuses :
Des dizaines de déclarations comparables ont été recueillies lors des enquêtes menées en vue de la canonisation de la Servante de Dieu. Extases et lévitations étaient particulièrement fréquentes lorsque Joaquina se trouvait en adoration devant le très Saint-Sacrement.
A la même époque, les habitants de Rome pouvaient surprendre chez Don Vincenzo Pallotti (1795-1850) - un prêtre qui fonda la Société de l'Apostolat Catholique - des phénomènes identiques :
Les lévitations de Don Vincenzo eurent de nombreux témoins, et non des moindres :
Les spectaculaires ravissements du saint prêtre étaient de notoriété publique à Rome, au point que l'on reprenait les enfants distraits en leur disant : « Eh, tu es en extase comme l'abbé Pallotti ! ». Citons encore un témoignage :
En France, Michel Garicoïts (1797-1863), fondateur de la Société des Prêtres du Sacré-Coeur de Bétharram, était sujet au même type de prodiges. Si les Filles de la Croix d'Igon rapportent les faits avec un laconisme déconcertant -
des récits plus circonstanciés nous sont venus du monastère des dominicaines de Nay, et de Bétharram même :
Dans ce type de lévitations, appelées parfois extases ascensionnelles, le corps du sujet se soulève insensiblement du sol, reste suspendu plus ou moins longtemps, immobile, avant de redescendre à terre. Pour d'autres cas, le lecteur se reportera à l'ouvrage d'Olivier Leroy 21
Ana de Jesus Magalhaës Une autre forme du phénomène se présente en la personne de la Servante de Dieu Ana de Jésus Magalhaës, une pauvre bergère du village d'Arrifana, au Portugal. Un accident la rendit grabataire à l'âge de seize ans, en 1828. On la savait fervente et résignée à son mal incurable, on découvrit fortuitement qu'elle lévitait. Dérobée aux regards par les courtines de son lit, elle passait une partie de la nuit à prier, méditant surtout la Passion de Jésus. Un soir de 1846-47, ses deux soeurs éberluées s'aperçurent qu'elle était en extase, et élevée en l'air. Bien décidées à ne pas s'en laisser conter, les pieuses filles alertèrent le curé : après tout, c'était de son ressort, que cela vînt de Dieu ou du diable ! Fort incrédule, le prêtre voulut toutefois se rendre compte par lui-même de la réalité du prodige allégué. Ayant entendu l'infirme en confession - sans doute pour savoir si elle-même avait quelque connaissance du phénomène -, il la communia età constata à son tour que ce n'étaient pas là imaginations de bonnes femmes :
Cela se produisit dès lors
On contrôla la réalité de la lévitation :
Le curé se montra l'homme de la situation. Il n'eut de cesse de multiplier épreuves et contre-épreuves, si bien que même entouré d'une grande discrétion, le phénomène eut des dizaines de témoins, surtout des prêtres et des médecins, dont les observations et les dépositions sont d'un intérêt capital :
Tous les témoignages sont parfaitement convergents. Ils soulignent la parfaite immobilité du corps suspendu en position horizontale, la pâleur du visage, l'impassibilité des traits et la totale insensibilité aux stimuli extérieurs : piqûres, brûlures, bruit. Les faits, quotidiens, durèrent vingt-neuf années, au fil desquelles on put mettre en évidence quatre types d'extases accompagnées de lévitations :
- les extases d'oraison : se produisant chaque nuit, elles eurent très peu de témoins. C'est le seul cas où le visage de l'extatique exprimait tantôt la joie, tantôt la tristesse, suivant l'objet de sa contemplation.
- les extases eucharistiques : après avoir reçu la communion, Ana était soulevée au-dessus de son lit, restant ainsi immobile durant un temps conséquent.
- les extases du Vendredi Saint : elles se renouvelaient chaque année de midi à quinze heures précises, moment où Ana ramenait contre son corps ses bras jusque-là étendus en croix, puis inclinait la tête sur la poitrine avant de redescendre doucement sur son lit pour reprendre conscience.
Atteinte d'hémiplégie six ans avant sa mort en 1875, Ana Magalhaës n'en restait pas moins capable, lors des extases du Vendredi Saint, de mouvoir avec aisance son bras paralysé pour adopter l'attitude du crucifiement. Perplexes, les médecins n'ont pu que constater la réalité de ce phénomène inexplicable du point de vue naturel.
- les extases des « sorties du Seigneur » : ce sont les plus étonnantes. Comme la stigmatisée Anne-Catherine Emmerick, l'extatique d'Arrifana avait le don de percevoir à distance la présence sacramentelle du Seigneur. Chaque fois que l'on portait l'eucharistie en viatique à un malade ou un mourant de la localité, Ana entrait en extase, s'élevait au-dessus de son lit et suivait d'un mouvement de la tête, parfois du corps entier, le parcours de la procession à travers les rues du village. L'insertion du prodige dans le rythme de la vie spirituelle de la Servante de Dieu, et les formes spécifiques qu'il revêt en fonction de chaque mode de prière personnelle ou liturgique, lui confèrent une valeur de signe singulièrement éloquente.
Francisca Ana Cirer Carbonell Soeur de la charité à Majorque, Francisca Ana Cirer Carbonell (1781-1855) a été béatifiée en 1989. Dans les dernières années de sa vie, alors qu'elle atteignait sa pleine maturité spirituelle, elle connut de fréquentes extases accompagnées de lévitations impressionnantes : il suffisait que l'on prononçât le nom de Dieu pour que se produisît le phénomène. Les faits eurent une quantité de témoins, car ils se produisaient à tout moment et en tout lieu, arrachant soudain la religieuse à ses occupations du moment :
Après un premier mouvement de stupeur, ses compagnes réalisèrent ce qui se passait. Plus tard, malgré la fréquence du phénomène, elles ne s'y habituèrent jamais vraiment :
On ne nous dit pas si les braves filles y parvinrent. Un phénomène comparable est mentionné à la fin du siècle dernier au sujet de Marie-Julie Jahenny (1850-1941), la stigmatisée de La Fraudais, par sa confidente madame Grégoire :
Le ravissement saisissait parfois Francisca Ana lorsqu'elle était à table, et elle gardait alors la position assise :
Si elle était en prière, elle se retrouvait suspendue à genoux dans l'air :
De nombreuses personnes de toutes conditions attestèrent la réalité de ces lévitations, devenues si fréquentes qu'elles constituaient pratiquement un élément de la vie quotidienne de la petite localité où vivait la religieuse :
De tels incidents étaient si fréquents que les gamins de l'école (et leurs parents) harcelaient les religieuses pour qu'on les avertît lorsque leur compagne avait ses extases. Dès que le phénomène se produisait, en en informait aussitôt la population du village ! Soeur Francisca Ana jouissait de son vivant déjà d'une telle réputation de sainteté, qu'elle ne fut jamais inquiétée, ni même soumise par l'autorité ecclésiastique à de fastidieuses enquêtes : tout se déroulait simplement, dans une atmosphère de fioretti, pour la plus grande édification des habitants de Senecelles et des visiteurs occasionnels. Elle-même, après avoir beaucoup souffert de ce qu'elle appelait ces étrangetés, avait fini par s'en accommoder.
D'autres « femmes volantes » au xix° siècle En France, Marie de Jésus du Bourg (1788-1862), fondatrice à La Souterraine des Soeurs du Sauveur et de la Sainte Vierge, connut dans les dernières années de sa vie des ravissements quotidiens accompagnés de lévitations que caractérisait leur caractère impétueux :
La Servante de Dieu perçoit fort bien la cause de ces rapts, dont elle se relève par ailleurs toujours indemne, malgré leur violence :
Cet amour purifiant et crucifiant, auquel fait allusion la fondatrice, est précisément le signe que l'âme se trouve dans les cinquièmes ou sixièmes demeures de la vie unitive. Au terme d'une longue période de purifications intérieures, Maria De Mattias (1805-1866), fondatrice des Adoratrices du Précieux-Sang à Rome - aujourd'hui béatifiée - connut des extases accompagnées parfois de lévitations, qui signalaient le haut degré d'union à Dieu auquel elle était parvenue :
La fondatrice interdisait à ses filles de faire allusion à ces prodiges, dont pâtissaient son humilité et son désir de vie cachée, mais allez empêcher une communauté de femmes de bavarder ! Même l'ascendant d'une sainte n'y suffisait pas. Alors elle se mit à fuir les occasions, en quelque sorte, se retirant précipitamment dans sa chambre lorsqu'elle sentait l'extase la saisir, et s'efforçant en même temps de résister au ravissement. En vain :
D'autant plus en vain que le phénomène avait lieu parfois en public :
Les recoupements chronologiques permettent de situer ces phénomènes dans les années 1855-56, c'est-à-dire la période où la bienheureuse connaissait, au sortir d'une nuit des sens et de l'esprit, l'union extatique des fiançailles spirituelles, prélude à l'union transformante de l'âme.
Tout à fait comparables sont les lévitations de Clelia Barbieri, fondatrice des Soeurs Minimes de Notre-Dame des Douleurs, aux Budrie de Bologne. Elle mourut en 1870, à peine âgée de vingt-trois ans, et les faits marquèrent les ultimes années de cette courte existence, au moment où la jeune femme parvenait aux sommets d'une précoce sainteté :
Les extases de Clelia Barbieri étaient si fréquentes que l'on ne s'en étonnait plus guère dans sa petite communauté  ses compagnes les appelaient la maladie de Madre Clelia. Elles correspondaient la plupart du temps à des missions spirituelles :
Un dernier exemple, non moins intéressant, nous introduit dans le XX° siècle. Le 14 septembre 1904, jour où l'Eglise célèbre l'Exaltation de la Croix (aujourd'hui : la Croix Glorieuse), la Mère Teresa Maria Manetti (1845-1910) présidait au réfectoire le repas de communauté. En raison de la solennité du jour, chère à son coeur, elle avait réuni le plus grand nombre de ses filles, les Carmélites de Sainte-Thérèse, dont elle avait fondé la première maison trente ans auparavant. A la fin du déjeuner,
Teresa Maria della Croce Manetti a été béatifiée en 1986.
Quelques cas de lévitation au XX° siècle Assurément, on ne prête qu'aux riches, et des figures charismatiques aussi célèbres que le bienheureux Padre Pio et les Servantes de Dieu Theres Neumann et Marthe Robin - pour ne citer qu'elles - sont créditées par la vox populi de toutes les variétés de prodiges que connaît la phénoménologie mystique. On retrouve là un peu la démarche qui conduisait les hagiographes des siècles passés à « en rajouter » pour inscrire leurs saints dans une tradition prédéfinie, quitte à gonfler leur palmarès. Qu'en est-il des trois grands stigmatisés du XX° siècle ?
Du capucin Padre Pio da Pietrelcina (1887-1968), il n'existe aucun indice qu'il ait été sujet à la lévitation, quoi que la rumeur ait pu véhiculer à ce sujet dans les dix années précédant sa mort. Les pièces de la procédure en vue de la béatification n'évoquent pas le phénomène. Il en est de même pour Marthe Robin (1802-1981), l'inspiratrice des Foyers de Charité, quoi qu'ait pu en écrire l'auteur d'un ouvrage sur la sainte de la Galaure :
Dans un livre qu'il a consacré à Marthe Robin, le père Peyret mentionne également cet épisode - au moment du décès de la mère de Marthe, le 22 novembre 1940 -, mais sans faire la moindre allusion à un phénomène de lévitation 41. L'étude des sources constituant le matériau en vue de la béatification de Marthe Robin m'a permis de constater qu'il n'y a jamais eu la moindre lévitation dans sa vie. En ce qui concerne Theres Neumann (1898-1961), quelques témoignages semblent en revanche établir la réalité du phénomène :
Le prodige se serait renouvelé le 15 août 1938 :
Le passage en question se trouve, en effet, dans le dernier ouvrage de Johann Steiner, mais aux pages 283-284 auxquelles renvoie un bref paragraphe de la page 203 sur la lévitation :
La récolte est bien maigre auprès de ces trois mystiques, que l'on tient pour les figures charismatiques les plus importantes du XX° siècle. Est-ce à dire que la lévitation se raréfierait ?
Peu connue même dans son pays d'origine, Maria Concetta Pantusa (1894-1953) présente une phénoménologie mystique d'une diversité si déroutante que le lecteur aura l'occasion de la retrouver plus d'une fois au détour de ces pages. Sa première extase avec lévitation eut lieu en 1918, en présence de cinq personnes, dans la maison de madame Erminia Pace, à Celico (Italie, Calabre). Ce fut le premier des multiples ravissements que cette humble veuve devenue ermite connut jusqu'à la grâce du mariage mystique, qui lui fut accordée en 1944, au terme d'une longue et douloureuse nuit de l'esprit : elle s'élevait à plus d'un mètre au-dessus du sol, à la stupéfaction de ses proches. Son confesseur et biographe explique ainsi la cause spirituelle du phénomène :
Innombrables sont les témoignages de personnes hautement qualifiées - médecins, psychologues, membres du clergé - qui ont attesté la réalité de ces lévitations, ainsi que l'éminente sainteté de la Servante de Dieu.
Sa contemporaine Tomasina Pozzi (1910-1944), religieuse de la Sainte-Famille à Mese, en Italie du nord, a connu également de nombreuses extases ascensionnelles :
L'auteur qualifie de lévitation ce numéro d'équilibriste, à vrai dire assez remarquable, mais qui ne présenterait guère d'intérêt s'il n'était étayé par des incidents plus convaincants :
On ne peut pas encore parler de lévitation. Mais il existe des témoins de véritables soulèvements au-dessus du sol :
De même, les soeurs Giovanna Masa et Clementina Caproni ont déposé, lors de l'enquête diocésaine :
Plus proches de nous dans le temps, et encore vivants, divers mystiques auraient présenté - pour certains, présenteraient encore - des phénomènes de lévitation.
Le visionnaire Domenico Masselli, de Stornarella (Italie, diocèse de Foggia), est un paysan, père de famille, né en 1922. Il serait favorisé depuis 1959 d'apparitions de la Madone accompagnées d'extases ascensionnelles. Selon les dires de son entourage - lui-même affirme ne se rendre compte de rien -, les faits se déroulent suivant un rituel immuable :
Le chapitre que lui consacre Anna Maria Turi dans son enquête sur les mariophanies n'est guère convaincant. Le document photographique qui illustrerait une lévitation est si bien coupé, ou si mal cadré, que l'on ne peut en tirer aucun indice probant en faveur de la réalité du fait. Il est étrange que le visionnaire ait besoin de se soustraire à la vue du public pour que se produise le phénomène car, le bas de son corps étant dissimulé par la paroi de sa cellule, nul ne peut vérifier qu'il est soulevé au-dessus du sol : il pourrait tout aussi bien monter sur une chaise ou un escabeau. Le prétendu lévitant est d'ailleurs dans une attitude étrange, rappelant la scène de la servante qui s'envole au-dessus du toit, dans le film Théorème de Pier Paolo Pasolini.
* Don Carlo Mondin, prêtre du diocèse de Ferrara (Italie), né en 1944, aurait été vu léviter en diverses circonstances, notamment durant la célébration de la messe :
Le témoignage - un des rares que l'on possède - est bien vague. Les faits se produisirent dans les années 1975-78, ils firent quelque bruit et attirèrent les foules. Mais l'évêque, rendu prudent par les difficultés que connaissaient certains de ses confrères à cause d'apparitions et de miracles allégués, prit contre Don Carlo de sévères mesures d'isolement, et l'affaire retomba dans le silence. Là encore, les preuves avancées ne sont guère convaincantes, les témoignages émanent de cercles miraculistes dont les membres, très exaltés, villégiaturaient alors à San Damiano et autres lieux semblables.
* Maria Concepción (Conchita) Gonzalez, née en 1949, est la principale voyante des apparitions présumées de la Vierge à San Sebastián de Garabandal (Espagne, 1961-65). Elle aurait eu, lors de la vision du 18 juin 1965 une lévitation impressionnante :
Ces affirmations ne méritent guère d'être retenu, car le père Luna - un bon prêtre, assurément, mais friand de merveilleux - était enclin à embellir, sinon à inventer l'histoire. Son récit se retrouve dans le livre du père Eusebio Garcia de Pesquera Elle se rendit en hâte à la montagne 53, en des termes nettement plus nuancés qui interdisent de conclure formellement à la réalité de la lévitation alléguée. De surcroît, il n'existe aucun autre témoignage sur ce phénomène spectaculaire qui aurait dû marquer les esprits. Un autre fait semble plus crédible :
* Angelo Chiriatti est un visionnaire qui a connu bien des déboires. Né en 1955 à Surbo, en Italie méridionale, il affirma à partir du 23 mars 1970 être favorisé d'apparitions mensuelles de la Vierge. En ces occasions, diverses personnes l'auraient vu en lévitation :
Mis en observation dans un couvent de Lecce, à la demande de Mgr Francesco Minerva, archevêque de Lecce et ordinaire de Surbo, il y aurait présenté des phénomènes analogues. Mais l'archevêque m'écrivait le 19 février 1979 :
Plusieurs photos montrent le visionnaire à ce point pressé par la foule qui l'entoure, que l'on se demande comment un fait de lévitation aurait pu être mis en évidence dans de telles conditions. Peut-être, en ces circonstances, Angelo aura-t-il été discrètement soulevé par quelque compère pour faire simuler le phénomène aux yeux des fidèles qui l'écrasaient presque ? Cette histoire d'apparitions - avec ou sans lévitations - a connu une fin lamentable. A la suite de la condamnation des faits par l'archevêque de Lecce, Angelo Chiriatti est accueilli dans une communauté religieuse de Manduria, localité du diocèse d'Oria où se déroulent présentement les prétendues apparitions de la Vierge à la visionnaire Debora Moscioguri. Il n'y reste guère, et on le retrouve en 1975 en France, à Clémery, où il est « ordonné prêtre » par les sectateurs du pseudo-pape Clément XV. Rentré en Italie, le faux prêtre s'inscrit à Ravenne (où il n'est pas connu) dans le tiers-ordre franciscain et porte dès lors la bure séraphique. Puis il revient à Surbo et, sous le nom de frà Pietro, reprend sa carrière de visionnaire. Mal accueilli par la population locale, il va s'établir près de Bitonto où il érige dans la propriété agricole d'un couple d'adeptes un oratoire de la Madone de la Cave. Les apparitions alléguées y attirent le 23 de chaque mois quelques centaines de fidèles. Chiriatti célèbre la messe, joue au thaumaturge en imposant les mains, présente chaque Vendredi Saint des stigmates aux mains, aux pieds et au côté (il les fait à l'aide d'une lame de rasoir). En 1980, il est accusé de pédophilie, mais l'affaire se termine par un non-lieu. L'escalade dans la mystique dévoyée se poursuit. S'habillant désormais tantôt entièrement de blanc, comme le pape, tantôt en franciscain, il fonde une communauté de Fils de la Charité, se met à ordonner des prêtres, et même à consacrer un évêque. Le 30 mai 1984, Mgr Domenico Padovano, évêque auxiliaire de Bari et Bitonto, publie une rigoureuse note de mise en garde contre le personnage et ses agissements :
Le mouvement s'est mué en une secte, dont les membres sont excommuniés. Angelo Chiriatti a connu de nouveaux ennuis : en octobre 1999, il a été inculpé par le procureur de Bari de violences sexuelles sur mineurs. Une perquisition à son domicile a entraîné la découverte de nombreuses revues et photos pornographiques. A l'heure actuelle, l'ex-visionnaire médite en prison les épisodes de sa lamentable existence.
Le cas de Roberto Casarin est comparable au précédent. Né à Turin en 1963, Casarin a présenté dès l'adolescence d'étranges manifestations tels les stigmates, la bilocation, la lévitation. Il a été suivi et contrôlé à partir de 1979 par le docteur Pietro Zeglio, de l'Université de Turin, qui s'est porté garant de l'authenticité des phénomènes dont il était témoin, ainsi que diverses personnes 56. Le nouveau Padre Pio - comme l'appelaient visiteurs et pèlerins - bénéficia durant plusieurs années d'une flatteuse réputation de voyant et thaumaturge, mais l'autorité ecclésiastique n'en observa pas moins une grande réserve à son encontre, interdisant notamment la tenue des groupes de prière que le jeune homme animait chaque samedi en présence de centaines de fidèles. Les faits semblent avoir eu quelque consistance, les réunions de prière se déroulaient dans une atmosphère de simplicité et de recueillement assez rare en pareilles circonstances pour mériter d'être soulignée, mais le visionnaire s'écarta insensiblement de l'Eglise, jusqu'à la rupture définitive et la constitution d'une secte. En 1984, il constitua l'association Christ dans l'homme, qui comptait plus de 2.000 membres. L'archevêque de Turin publia une note de mise en garde contre le mouvement. En 1989, Casarin et ses plus proches collaborateurs, qui s'étaient réunis en une communauté de vie aux moeurs très libres appelée Engagement, fondèrent l'Eglise de la Nouvelle Jérusalem, ce qui leur valut d'être excommuniés. Enfin, depuis 1996, la rupture définitive avec l'Eglise catholique - dont se réclamaient jusque-là Casarin et ses adeptes - fut consommée par la création de l'Eglise Âme Universelle, qui allie dans une vision syncrétiste une partie de l'héritage chrétien, divers apports de l'hindouisme et du bouddhisme, et même des éléments ésotériques. Roberto Casarin, appelé Swâmi par ses adeptes, en est le grand maître vénéré à l'instar d'un dieu par quelques milliers de fidèles recrutés en Italie et surtout en Amérique latine.
* Au Chili, le visionnaire Miguel Angel Poblet n'a pas su transformer l'essai. Cet orphelin, qui dès l'âge de quinze ans se prostituait dans le parc de la colline de Peñablanca, dans la banlieue de Villa Alemana (Chili), fit état en 1983 d'apparitions de la Vierge. Des manifestations spectaculaires semblaient être autant de signes de l'authenticité de ses assertions : sueurs de sang lorsqu'il disait revivre la Passion du Christ, phénomènes de lévitation attestés par plusieurs personnes, et même un miracle du soleil analogue à celui de Fàtima, le 29 septembre 1983. L'adolescent - alors âgé de dix-sept ans - affirmait s'être converti, et il délivrait des messages à forte teneur eschatologique qui, sous prétexte de la conversion de la Russie, apportaient un discret appui au régime du général Pinochet. Mais en 1989, le père Anselmo Vasquez, o.s.m., qui étudiait le cas, écrivait de lui :
Ayant trouvé un riche protecteur américain, le garçon a renoncé à son rôle de visionnaire pour s'adonner à des activités plus lucratives :
Dans ces derniers cas, la frontière est singulièrement difficile à établir entre de possibles manifestations d'origine surnaturelle qui auraient dévié, et une phénoménologie relevant plutôt de la parapsychologie, quand elle n'est pas le résultat d'une supercherie. Plusieurs témoignages relatifs aux lévitations de Chiriatti, mais surtout de Casarin et de Poblet, ne sauraient être écartés d'un simple revers de la main, et il n'est pas interdit de se poser la question d'interventions d'ordre préternaturel diabolique.
Des lévitations diaboliques ? Il existe, dans certains cas de possession diabolique, des phénomènes de lévitation parfois spectaculaires : cet artifice démoniaque a été évoqué par Olivier Leroy. Certes, il n'est pas question d'évoquer systématiquement une action immédiate de Satan pour expliquer les malheurs ou le mal-être de personnes convaincues d'être victimes des forces du mal, car la nature humaine recèle en ses secrets replis suffisamment de failles et de fragilités pour s'adonner aux pires péchés et en subir les effets sans que Satan soit tenu d'intervenir directement. Mais aucun théologien sérieux non plus qu'aucun croyant convaincu ne niera a priori la possibilité d'interventions diaboliques extraordinaires dans le vécu de certaines personnes. Qui prétendra que les manifestations infernales allant jusqu'aux sévices corporels (coups, griffures, blessures, brûlures) causés de l'extérieur, dont les marques apparaissaient spontanément et visiblement sur leurs victimes - le saint Curé d'Ars, les bienheureux Jean Calabria et Padre Pio, la Mère Yvonne-Aimée de Jésus - ne relèvent que de l'imagination, du pouvoir de l'autosuggestion, si ce n'est de tendances névrotiques ? Au contraire, certains comportements et prodiges allégués dans le cadre de prétendues mariophanies contemporaines, et dont la matérialité a pu être établie, seraient susceptibles de trouver un début d'explication dès lors que l'on oserait en aborder l'étude du point de vue démonologique également. Si l'on a mis en évidence que jadis de présumées épidémies de possession démoniaque ne furent en réalité que la conséquence d'empoisonnements par l'ergot du seigle ou d'autres substances toxiques, si l'on s'est efforcé naguère encore d'expliquer que d'autres cas relevaient de la seule psychiatrie (les grandes affaires démonopathiques du XVII° siècle, comme celle des ursulines de Loudun), l'existence de véritables possessions diaboliques est indubitable. Elle est attestée déjà dans l'Evangile par Jésus lui-même. Parmi les critères de discernement de des esprits, l'existence d'authentiques lévitations est un des plus probants, car il est impossible de simuler ou de contrefaire le prodige. Il n'est pas mentionné en termes explicites dans les rituels, qui évoquent simplement le déploiement de forces dépassant les capacités de la nature. Or l'Eglise a toujours attribué à la lévitation une cause au moins préternaturelle (angélique ou diabolique), si ce n'est divine.
Au XIX° siècle, une pauvre lingère habitant dans le Loiret avait la réputation auprès de ses concitoyens d'être empicassée, c'est-à-dire ensorcelée, victime du diable. Elle se nommait Hélène Poirier et mourut en 1914, âgée de quatre-vingt ans, au terme d'une existence littéralement infernale assumée dans une perspective d'offrande à la volonté de Dieu. Parmi les prodiges signalant à son entourage l'action diabolique, les lévitations furent parmi les plus spectaculaires. C'étaient surtout de violentes projections à une distance notable, caricature des vols extatiques ou rapts des mystiques :
Il arrivait qu'elle fût élevée au-dessus du sol :
Sa biographie mentionne également des enlèvements dans les airs, mais il n'y eut pas de témoin direct de ce phénomène, dont l'entourage de la pauvre femme ne voyait que le résultat : on la retrouvait à de très grandes distances de son village, égarée dans la campagne et sous le choc. Le dossier de ce cas serait à reprendre de fond en comble, dans le cadre d'une étude critique des documents et des faits. Les lévitations des petits possédés d'Illfurth, en Alsace (1864-1869), sont mieux attestées :
A Natal, en Afrique du Sud, la possédée Claire-Germaine Cèle, âgée de 17 ans, fut exorcisée en 1907 :
En 1924-25 ,une véritable épidémie de possession diabolique troubla durant plusieurs mois le couvent des Amantes de la Croix de Phat Diêm, au Vietnam. Des manifestations spectaculaires furent attestée par de nombreuses personnes :
Dans ces cas de possession diabolique, comme dans d'autres plus récents qu'il n'y a pas lieu de révéler, eu égard au respect dû aux personnes, divers prodiges accompagnent la lévitation, caricaturant les authentiques phénomènes de la vie mystique. En juillet 1971, j'ai été témoin d'un exorcisme effectué dans une chapelle rurale proche de San Damiano, le hameau italien qui s'illustra dans le dernier tiers du XX° siècle par de prétendues apparitions de la Madone. Au cours de la cérémonie, les assistants - une dizaine de personnes - virent avec ahurissement une lévitation de la possédée : c'était une bonne grosse mamma italienne qui fut soulevée à quelque 40 cm au-dessus du dallage et qui, après avoir oscillé en l'air pendant plusieurs secondes, fut projetée comme une torpille contre le maître-autel, le heurtant violemment de la tête sans se faire le moindre mal.
Dans les dernières années du siècle passé, de multiples cas de prétendue possession diabolique ont été allégués par des exorcistes. Des revues apparitionnistes dénuées de tout sens critique ont fourni une tribune médiatique à plusieurs d'entre eux, dont le plus prisé fut longtemps Mgr Milingo, ancien archevêque de Lusaka, en Zambie. Discrètement destitué de sa charge en 1983 à cause des entours peu clair des messes de délivrance auxquelles il s'adonnait, il n'en était pas moins porté aux nues par les propagandistes du merveilleux catholique contemporain, jusqu'au jour où il infligea à leur discernement un cinglant camouflet, en convolant le 27 mai 2001 avec une adepte de la secte Moon. Ce regain d'intérêt et de curiosité malsaine pour le diabolisme dans certains milieux chrétiens va de pair avec la fascination qu'exerce le satanisme sur une jeunesse qui a perdu tout repère - le spiritisme est couramment pratiqué dans certains établissements scolaires, les jeux de rôles ont débouché parfois sur des profanations de tombes, voire des crimes rituels -, et sur une intelligentsia blasée, revenue de tout, qui se cherche constamment de nouvelles sensations à la faveur d'expériences. Même dans les sphères les plus raisonnables du peuple de Dieu, on est loin désormais du temps où les chercheurs péchaient par un excès de rationalisme :
Il est à souhaiter que la littérature hagiographique, sans tomber dans une recherche niaise du merveilleux, et surtout dans l'affirmation théologique du miracle proprement dit, cesse d'élaguer aussi librement les données de l'histoire 64.
A la même époque - dans la première moitié du XX° siècle -, le professeur Jean Lhermitte, membre de l'Académie Nationale de Médecine et spécialiste des phénomènes paranormaux, se gardait d'aborder trop ouvertement la question du préternaturel diabolique dans ses publications sur la phénoménologie mystique. Aujourd'hui, des théologiens et des médecins de renom n'hési-tent pas à mettre en jeu leur réputation en cautionnant sans aucun recul les extravagances de prétendus visionnaires, stigmatisés et possédés du diable. Il serait temps de retrouver, dans ce domaine délicat, l'impartialité et un réel souci de critique objective susceptibles de faire pièce une fois pour toutes à l'esprit hypercritique qui a trop longtemps prévalu, mais aussi à l'engouement et à la crédulité qui, par une réaction bien compréhensible, lui a succédé après le concile Vatican II. Il conviendrait - même et surtout en ces matières qui a priori n'offrent guère de prise à la raison - de savoir raison garder.
Des lévitations sans connotation mystique A titre d'anecdote, voici deux faits qui - s'ils étaient vérifiables - permettraient de mieux percevoir la différence entre les cas abordés dans le cadre de cette étude (la lévitation comme expression phénoménologique d'une expérience d'union à Dieu) et d'autres prodiges analogues exempts de toute connotation mystique. Le premier événement se serait déroulé au début du XX° siècle en Afrique australe, si l'on doit en croire le magicien Kellar, qui le relata dans la North American Review :
Dans ce rituel de magie guerrière, le phénomène est induit de l'extérieur :
L'autre exemple, relatif au rebouteur berrichon Louis-Jean, remonte à la même époque et survient aussi dans un contexte de magie  précisément il s'inscrit dans un rituel de sorcellerie campagnarde au cours duquel le sujet parvient à se mettre lui-même en transe :
Ces récits pèchent sur deux points : chacun repose sur un témoignage unique - or, testis unus, testis nullus -, et il s'agit de relations de seconde main. Leur intérêt réside dans la similitude des éléments exposés : la mise en condition du sujet par un agent extérieur ou par lui-même, et à l'aide d'un objet matériel - une touffe d'herbe incandescente, un objet brillant - grâce auquel la flamme, ou du moins la lumière, semble jouer un rôle déterminant  hypnotique au cours de laquelle se produit la lévitation, qui est induite volontairement.
Ces manifestations - si l'on admet que les témoins relatent des faits véridiques - sont tout à fait différentes, dans leur causalité et leur signification, des lévitations que l'on rencontre chez les mystiques. Il se rapproche des lévitations de médiums tels Stanton Moses, Daniel Douglas Home ou Eusapia Palladino, dont Hélène Renard a su opportunément souligner combien ils sont radicalement opposés au phénomène que connaît et assume la mystique chrétienne 67.
Prodiges de célérité et marches extatiques Des marches extatiques sont signalées parmi les divers prodiges qui auraient marqué dans leurs débuts les apparitions alléguées de la Vierge Marie à Medjugorje, en Bosnie-Herzégovine :
Le phénomène se serait produit le deuxième jour des apparitions, le 25 juin 1981. L'une des visionnaires l'a relaté avec force détails :
Ces citations illustrent un cas parmi d'autres des courses extatiques prétendument extraordinaires dont les visionnaires de Medjugorje furent les protagonistes. Il eût fallu soumettre d'entrée de jeu le prodige allégué à une rigoureuse investigation quant à ses circonstances et son déroulement, procéder à une contre-épreuve, recueillir sous serment les témoignages des personnes alors présentes sur les lieux, etc., ce qui n'a jamais été fait. De plus, ce que nous savons de la personnalité de Vicka - elle a été surprise plus d'une fois en flagrant délit d'affabulation et de mensonge -, et du manque d'esprit critique des panégyristes de ces « apparitions », laisse planer de sérieux doutes sur la réalité de l'événement. Enfin, il convient de prendre en compte la part d'exagération, même involontaire, de personnes de bonne foi qui croient servir la cause en en rajoutant : une surenchère habilement médiatisée venant étayer le surnaturel supposé. Les marches extatiques des visionnaires de Medjugorje semblent bien n'être qu'un plagiat de la célérité manifestée par les voyantes de Garabandal dans leurs extases :
Des faits de ce genre présentent de réelles analogies avec le phénomène de la lévitation, et ils peuvent être qualifiés sans hardiesse d'extraordinaires. L'un des cas les plus spectaculaires est celui d'Auguste Arnaud, un cultivateur de Saint-Bauzille de la Sylve, dans l'Hérault. Il eut en 1873 deux apparitions de la Vierge. Lorsque, le 8 juillet, la Mère de Dieu se manifesta pour la dernière fois,
La rapidité effrayante de cette marche extatique du voyant sur les quarante mètres de vignoble qui le séparaient de la croix impressionna vivement les témoins. Quatorze d'entre eux déposèrent devant la commission diocésaine d'enquête, indiquant comment le voyant s'était déplacé de biais à travers les pieds de vigne, le visage pâli soudain et les yeux grand ouverts levés vers le ciel :
La conjonction de l'état extatique et du caractère naturellement inexplicable de cette course rapide a frappé à ce point les imaginations que, par la suite, on a quelque peu brodé sur la réalité :
Il suffit de s'en tenir aux faits, déjà assez inexplicables en eux-mêmes :
De telles marches extatiques s'apparentant à la lévitation ne sont pas le fait des seuls protagonistes d'apparitions mtahomaes. Catherine-Aurélie Caouette (1833-1905), fondatrice au Canada des Adoratrices du Précieux-Sang, avait à peine sept ans quand débutèrent chez elle des phénomènes qui remplissaient ses proches d'étonnement :
Des faits du même ordre s'étant produits plus tard en présence de divers témoins, il est permis de ne pas mettre en doute le récit de la mère. Plus tard, Aurélie connut de véritables lévitations :
Le même prodige se retrouve chez Maria Tarallo, une religieuse italienne stigmatisée, morte en renom de sainteté :
D'autres religieuses furent témoins de cette célérité d'autant plus étonnante que la soeur était très affaiblie par les infirmités qui allaient la mener à la mort. Plus proche de nous, Edvige Carboni - la femme volante qui impressionnait tellement les fillettes de la paroisse - présente le même phénomène de marche au-dessus du sol :
Le cas le plus stupéfiant est sans conteste celui de la Vénérable Maria-Giuseppina Catanea (1894-1948), carmélite napolitaine :
On est tenté de se frotter les yeux ! L'incident eut lieu en 1924, il n'était pas le premier ni ne fut le dernier. Les vols extatiques débutèrent à l'improviste le 26 juin 1923, accompagnés d'une sorte de souffle, un vent qui semblait envelopper et soulever la religieuse. Le prodige se répéta des dizaines de fois et eut de multiples témoins, parfois étrangers au monastère, qui alors manquaient de se trouver mal, tant était grand leur saisissement. Bien que la soeur souffrît à partir de 1942 d'une sclérose en plaque qui l'immobilisait sur un fauteuil roulant, le phénomène n'en fut d'aucune façon entravé, il se fit simplement moins fréquent :
Ces vols extatiques fréquents se produisaient surtout lors des processions en l'honneur du Saint-Sacrement. Comme dans les autres exemples, le prodige est perçu par les témoins comme un signe d'élection divine, car il survient inévitablement dans un contexte de grande ferveur : l'extase mtahomae d'Auguste Arnaud, la prière d'enfant d'Aurélie Caouette, la dévotion à l'Enfant-Jésus d'Edvige Carboni, la piété eucharistique des moniales italiennes.
A la recherche d'une explication Si la lévitation est un phénomène réel, comme le démontrent les exemples précédents, force est d'admettre comme postulat qu'elle est contraire aux lois naturelles :
L'auteur, qui fait autorité en matière de discernement des esprits, tient la lévitation pour un don gratuit signifiant « une participation anticipée et miraculeuse du corps dès ici-bas à l'agilité des corps glorieux » (ibid.). Mais il n'a point étudié les modalités du prodige, défini sous le seul angle de sa signification : une emprise spectaculaire du divin sur la nature, dont la portée charismatique vise à l'édification du Corps mystique par la sanctification de ses membres : celui qui en est l'objet et ceux qui en sont les témoins, dès lors qu'ils sont pénétrés d'amour et de crainte respectueuse devant les mirabilia Dei.
Dans le plus grand nombre des cas, il semble que le phénomène consiste en une puissante attraction du sujet vers le haut - un rapt physique, parfois assez violent -, plutôt qu'en une soudaine légèreté du corps. Mais Hélène Renard écrit :
Il est malaisé de savoir ce que ressentent les sujets car, le plus souvent inconscients du phénomène, ils n'ont guère formulé leurs impressions, à de rares exceptions près. Peut-être certaines formes du prodige autorisent-elles l'observateur à conclure en une combinaison entre la modification de la densité du corps, devenu plus léger, et l'attraction extérieure vers le haut. L'exemple le plus connu de cette légèreté corporelle est celui de la moniale conceptioniste espagnole Maria de Agreda (1602-1665), célèbre pour ses révélations sur la vie de la Vierge, mais aussi constamment citée pour illustrer la lévitation. Elle était élevée à l'horizontale au-dessus du sol et, telle une plume ou une bulle de savon, elle oscillait au moindre courant d'air ou lorsqu'on soufflait sur elle, ce que ne se privaient pas de faire ses religieuses pour divertir et édifier les nombreux curieux qui venaient assister aux extases de leur supérieure. Les témoins en ont laissé des relations détaillées :
Le même phénomène a été observé chez l'extatique italienne Domenica Barbagli (1812-1859), du tiers-ordre séculier des Servites de Marie, qui vécut grabataire durant trente-trois années à Monte San Savino, près d'Arezzo : après ses communions, elle s'élevait en extase au-dessus de son lit, et le moindre souffle la faisait osciller telle une plume suspendue en l'air à l'horizontale. Elle est évoquée par Thurston (op. cit., p. 148, note 3), qui la confond avec Domenica Lazzeri (1815-1848), une des célèbres stigmatisées du Tyrol au XIX° siècle. Il cite également la clarisse Beatriz Maria de Jesús Encise y Navarrete (1632-1702), de Grenade :
Peut-être les lévitations de la bienheureuse Mariam de Jésus Crucifié Baouardy (1846-1878) illustrent-elles encore mieux cette légèreté que prendrait momentanément le corps des extatiques. On connaît de cette attachante carmélite palestinienne, qui vécut plusieurs années en France, huit lévitations dûment attestées  entre le 22 juin 1873 et le 5 juillet 1874. Sans vouloir minimiser le moins du monde sa phénoménologie mystique, il convient de parler plutôt de semi-lévitations, dans la mesure où le soulèvement au-dessus du sol s'effectuait toujours à partir d'un appui, si ténu et dérisoire ce dernier eût-il été : Mariam lévitait pour aller, tel un oiseau, se poser au sommet des arbres. Le processus en a été très bien observé :
Plus explicite, le père Buzy, premier biographe de la bienheureuse, décrit avec précision le prodige :
Dans ce cas précis, il semble que se soient associées une soudaine et extraordinaire légèreté objective du corps de l'extatique - pour que des rameaux en supportent le poids, celui-ci devait avoir été modifié - et une non moins étonnante vélocité et agilité. De toute façon, les deux phénomènes sont du même ordre que la lévitation stricto sensu.
Dès qu'elle avait repris conscience, Mariam ne se rappelait plus rien - elle se demanda un jour ce que faisait une de ses sandales au faîte d'un arbre, où elle était restée accrochée -, et elle eût été fort en peine de donner de l'événement une autre explication que celle qu'elle énonçait en extase : « L'Agneau m'a tendu les mains ».
Sans doute est-ce sainte Thérèse d'Avila qui, ayant expérimenté le phénomène, et surtout en ayant gardé conscience, a écrit à ce sujet les lignes les plus significatives :
Elle perçoit donc la lévitation comme l'effet conjugué - la résultante - d'une force qui, lui étant extérieure, la soulève en l'air, et d'une attraction intérieure de l'esprit qui, élevé vers le haut, entraîne le corps après lui  légèreté prodigieuse qu'acquerrait alors le corps. De ses lévitations, retenons le témoignage de sa compagne Anne de l'Incarnation :
La mystique dominicaine Maria Villani (1584-1670), de Naples, explique de la même façon le phénomène :
Ces faits, relatés par la moniale à son confesseur, n'ont eu aucun témoin, aussi convient-il d'en accueillir le récit avec quelques réserves.
A une époque plus récente, l'institutrice anglaise Theresa Helena Higginson (1844-1905) - une mystique aussi intéressante qu'elle est contestée -, aurait eu des lévitations qu'elle commente dans ses lettres à son directeur spirituel :
Elle insiste sur la conscience initiale qu'elle a du phénomène :
Elle note également l'impression de frayeur qui, chez elle, accompagne toujours la prise de conscience du phénomène :
Ces textes nous renseignent sur les sensations qu'éprouve l'extatique davantage que sur les modalités du phénomène. Ils présentent plusieurs points de ressemblance avec ce qu'écrit sainte Thérèse d'Avila, ce qui est compréhensible quand on sait que Theresa Helena avait lu les oeuvres de la grande mystique espagnole, mais qui ôte quelque intérêt à ses relations. Cependant, Theresa Helena était une femme d'une totale sincérité et d'une réelle humilité. Assurément, elle a eu la conviction d'expérimenter ce qu'elle décrit, avec répugnance, d'ailleurs, car elle n'aimait pas parler de ces choses. Et surtout, il semble bien qu'il y ait eu des témoins de ses lévitations :
Cette lévitation, la première peut-être, aurait eu lieu en 1874, au cours d'une extase où Theresa Helena recevait l'impression de la couronne d'épines. Les faits se seraient répétés ensuite, alors que débutait la période des fiançailles mystiques : longues années de purifications intérieures et d'extases fréquentes qui, succédant à la stigmatisation, préparèrent la jeune femme à la grâce du mariage mystique, le 24 octobre 1887. L'autre témoignage, se rapportant aux années 1891-1892, est de seconde main :
Theresa Helena a également noté les effets du phénomène sur son corps :
Et encore :
Les effets corporels de la lévitation sont, dans ce cas précis, tout à fait différents de ceux qu'éprouvait sainte Thérèse d'Avila et, plus récemment, l'ursuline Lucia Mangano (1895), une remarquable mystique du XX° siècle :
Il ne semble pas que Lucia Mangano ait eu des lévitations, car il n'existe aucun témoignage à ce sujet. Mais son expérience est intéressante, car elle rejoint ce qu'écrivaient autrefois sainte Thérèse d'Avila et Maria Villani à propos de la légèreté qu'elles éprouvaient en leurs extases ascensionnelles :
En fait, les mystiques sujets à lévitations étant presque toujours inconscients du phénomène, et le plus souvent trop absorbés dans l'extase pour analyser ce qui leur arrive - sainte Thérèse d'Avila et quelques autres sont à cet égard des exceptions -, et il est malaisé de percevoir comment le phénomène est perçu par ceux qui l'expérimentent. Sans doute le spécialiste de la phénoménologie mystique que fut le jésuite Auguste Poulain n'en a-t-il pas saisi toutes les nuances, lorsqu'il écrivait :
C'est lapidaire. Les considérations sur la légèreté qu'acquerrait le corps des extatiques dans certaines circonstances permet peut-être, sinon d'expliquer, du moins d'appréhender un incident que l'on observe dans quelques faits d'apparitions mtahomaes : la faculté qu'ont les voyants de se soulever les uns les autres sans effort apparent. Ainsi, à l'Ile-Bouchard, en 1947 :
Le fait, qui a beaucoup impressionné les témoins, s'est produit quatre fois. La facilité qu'avait Jacqueline Aubry de porter ses petites compagnes est déconcertante :
Le même phénomène a été remarqué très fréquemment à Garabandal :
En voici un exemple parmi d'autres :
Une dernière illustration de ces cas de légèreté étonnante conclura cette étude sur une note assez originale. Ambrogina D'Urso (1909-1954), religieuse italienne, avait subi à la suite d'une chute accidentelle de multiples fractures. Elle avait été opérée, puis plâtrée des épaules à la taille, l'appareil immobilisant également son bras gauche, si bien qu'il fallait plusieurs personnes pour la soulever et la sortir de son lit afin de l'amener à la chapelle, comme elle en exprimait parfois le désir. Un jour - c'était au printemps 1948 -, elle demanda à son infirmière de bien vouloir la porter au choeur. La jeune fille, Anna Sprocatti, se récusa, car elle se trouvait alors toute seule au chevet de l'infirme  résolut à la contenter, lui recommandant de se tenir fermement à son cou avec le bras resté valide. A peine l'eut-elle soulevée qu'elle s'affola, à cause du poids : jamais elle n'y parviendrait ! Mais soeur Ambrogina la regarda en souriant, et au même moment eut lieu le prodige. Son corps devint instantanément léger comme s'il eût été une plume. Incrédule et impressionnée, Anna la porta jusque dans le choeur où elle la laissa, pour retourner dans la chambre et faire le lit104. Non seulement le corps de la religieuse, mais aussi l'appareillage de plâtre - qui représentait une surcharge pondérale non négligeable, avaient acquis une inexplicable légèreté.
Phénomènes de contre-lévitation ? A l'inverse de l'extraordinaire légèreté qu'ont présentée parfois certains mystiques, d'autres - et parfois les mêmes - ont connu des extases durant lesquelles leur corps acquérait une pesanteur insolite, au point même que plusieurs hommes robustes conjuguant leurs efforts ne parvenaient pas à les soulever du sol. Ce phénomène de contre-lévitation paraît être lié à la contemplation du mystère de la Croix. Les rares exemples modernes et contemporains que l'on en connaît confirment la relation entre cette pesanteur subite et l'expérimentation, par le sujet, du drame de la Passion du Sauveur. Déjà au XVII° siècle la Vénérable Marguerite Parigot (1619-1648), moniale du carmel de Beaune, sentait son corps devenir
Ce n'était pas simplement une impression subjective. Bien que soeur Marguerite du Saint-Sacrement fût très menue - elle mesurait à peine 1 m 30 -, plusieurs soeurs ne pouvaient alors la soulever. Ces soudaines pesanteurs survenaient lorsque la religieuse connaissait de grandes épreuves purificatrices de l'âme, en corrélation avec le mystère de la Croix et dans une perspective réparatrice, ou bien lors d'extases où, partageant les douleurs de Jésus durant la Passion, elle avait également de fréquentes lévitations. D'autres saintes personnes, tels Marie-Madeleine de'Pazzi, carmélite florentine, et Joseph de Copertino, ont présenté cette particularité.
Les stigmatisées belge Rosalie Püt (1868-1919) et canadienne Marie-Rose Ferron (1902-1936) sont créditées du même prodige, qui survenait lors de leurs extases douloureuses. Mais les témoignages, dans l'un et l'autre cas assez imprécis, ne sont guère convaincants. Ainsi, on nous dit de la seconde :
C'est peu. Je n'ai pas trouvé davantage dans un pavé de 2094 pages de témoignages et souvenirs, consulté à la Congrégation pour les Causes des Saints. Et l'on sait qu'une personne évanouie semble peser très lourd, or extase et évanouissement sont parfois bien semblables. Rien non plus qui emporte l'adhésion dans ce que rapporte à ce sujet le docteur Imbert-Gourbeyre de la célèbre - et très suspecte - stigmatisée Marie-Julie Jahenny. Cette figure, déroutante à bien des égards, mériterait une étude critique approfondie. S'il n'y a pas eu de fraude à La Fraudais, comme le disait le bon docteur, il reste bien des points obscurs dans cette affaire qui a duré plus d'un demi-siècle.
En revanche, la mystique portugaise Alexandrina Maria da Costa (1904-1955) a été suivie de façon rigoureuse par confesseurs et médecins. A maintes reprises, ils ont mis en évidence la pesanteur tout à fait anormale qui s'abattait soudain sur ce corps amaigri par la souffrance et l'inédie, et réduit à moins de 40 kilogrammes, tandis que l'extatique était unie à la Passion :
Alexandrina donnait du phénomène - attesté par de nombreuses personnes - une explication d'ordre purement mystique. Requise par son confesseur de préciser combien pesait la croix invisible sous laquelle elle était comme écrasée, elle répondait invariablement : « Ma croix a un poids mondial ».
Dans ces faits de contre-lévitation, les sujets ont l'impression non d'être lourds, mais de ployer sous un poids énorme assimilé à celui de la croix du Sauveur. La stigmatisée canadienne Catherine-Aurélie Caouette présentait la même particularité au cours de ses extases douloureuses :
Des phénomènes analogues sont signalés dans divers faits d'apparitions mtahomaes où les visionnaires sont conviés, à titre de pénitence réparatrice, à expérimenter et à mimer les diverses phases de la Passion du Sauveur : à Marta Bolsena, en Italie, près de Viterbe, plusieurs des voyants - parfois de jeunes enfants - ont présenté en 1948-1950 ces phénomènes de pesanteur extraordinaire, attestés par de nombreux témoins. De même à Garabandal, en Espagne, et, relate-t-on, dans le cadre des fausses apparitions de La Ladeira, au Portugal, qui durent depuis quarante ans et dont la protagoniste a quitté l'Eglise catholique.
La lévitation, signe de sainteté ? Les maîtres spirituels soulignent le lien étroit existant entre l'extase fonctionnelle - celle qui signale les degrés les plus élevés de l'union de l'âme à Dieu - et la lévitation. Quiconque étudie la vie des mystiques ayant présenté ce phénomène, se convaincra aisément que celui-ci n'apparaît jamais qu'à partir du moment où l'âme entre dans les sixièmes demeures du château intérieur, notamment sous la forme du vol de l'esprit (vuelo del espiritu), défini par sainte Thérèse d'Avila comme une des formes les plus élevées de l'extase. Chez l'extatique, la lévitation est un effet immédiat dans le corps du vol de l'esprit, caractérisé par sa soudaineté et sa violence :
Moins d'un siècle plus tard, saint Joseph de Copertino emploiera - sans connaître les écrits de la grande mystique espagnole - exactement la même image :
Aussi, avant d'étudier les modalités et des formes extérieures que revêt le prodige, est-il nécessaire - dans l'ordre du discernement des esprits d'en souligner la portée spirituelle, sans pour autant négliger la relation étroite existant entre l'âme et le corps. Sainte Catherine de Sienne insiste beaucoup sur cette unité de la personne humaine, le corps étant informé par l'âme à la mesure de l'union de celle-ci à Dieu, et elle met dans la bouche du Verbe divin les paroles suivantes :
Pour elle, comme pour tous les maîtres de la spiritualité, la lévitation ne se produit que lorsque l'âme a atteint l'union parfaite avec Dieu - les sixièmes, puis septièmes demeures thérésiennes -, ce qui suppose une très haute vertu. Dans l'expérience mystique chrétienne, le phénomène est signe de sainteté, comme il l'a été de tout temps et dans toutes les spiritualités :
Dans le christianisme, cela ne s'applique qu'aux lévitations accompagnant l'extase fonctionnelle des degrés les plus élevés de l'union de l'âme à Dieu, et non à celles qui accompagnent occasionnellement les grâces charismatiques ponctuelles que sont par exemple les apparitions mtahomaes.
Ceci étant, il ne reste plus qu'à relativiser diverses affirmations énoncées par Olivier Leroy au terme de son étude - par ailleurs remarquable - comme des règles enfermant le phénomène dans un cadre trop rigide pour tenir compte de la souveraine liberté de Dieu en ses dons.
* Le soulèvement est faible (environ une coudée, soit quelque 50 cm). Sans atteindre les records d'altitude - si l'on peut dire - d'une Marie Madeleine de'Pazzi, d'un Joseph de Copertino ou d'une Mariam de jésus-Crucifié, plusieurs lévitants ont été soulevés à des hauteurs nettement plus conséquentes, ou bien moindres. Il est difficile de vouloir définir une moyenne.
* Il se produit de façon progressive et cesse de même. Dans nombre de cas, les faits vont à l'encontre de cette affirmation. Dans le rapt ou le vol de l'esprit, le soulèvement est soudain, impétueux, traduisant la force de l'emprise divine sur l'âme. Saint Joseph de Copertino ou Marie de Jésus du Bourg l'illustrent à l'évidence, ainsi que la stigmatisée allemande Barbara Pfister (1858-1909) qui volait comme une flèche vers le tabernacle de l'église paroissiale.
* Le temps d'élévation ne dépasse pas quinze à vingt minutes. Sainte Thérèse d'Avila - et tous les auteurs qui l'ont suivie - écrit que plus l'extase est intense, moins elle se prolonge. Mais elle explique que l'état extatique connaît une alternance dans son déroulement, une absorption de l'âme moins profonde que le ravissement (rapt) ou le vol de l'esprit succédant à ce dernier. La caractéristique de cette absorption de l'âme est précisément la légèreté (ou l'impression de légèreté) corporelle. Dans l'extase fonctionnelle des sixièmes demeures, c'est parfois le ravissement ou vol de l'esprit qui provoque une lévitation soudaine, signalée par une sorte de violence  en Dieu induit une lévitation plus lente et plus prolongée, et dans cet état le sujet reste capable de percevoir et d'analyser ce qu'il expérimente  peut débuter avec soudaineté pour se poursuivre dans la quiétude et l'immobilité du corps qui alors flotte dans l'air durant un temps plus ou moins long : certains extatiques (Maria de Agreda, Ana Magalhaës) ont connu ainsi des lévitations de plusieurs heures.
* Le corps soulevé garde la position qu'il avait avant la lévitation. Là encore, les faits démontrent le contraire dans un grand nombre de cas : saint Joseph de Copertino, Ana Magalhaës, Edvige Carboni, d'autres encore, se déplaçaient et faisaient gestes et mouvements durant leurs lévitations.
* La lévitation et les stigmates sont généralement incompatibles.
Hélène Renard écrit :
En réalité, de nombreuses stigmatisées ont présenté le phénomène de la lévitation, non seulement avant leur stigmatisation, mais après la date où elles ont été marquées des plaies de la crucifixion. * Il est impossible d'enfermer le phénomène dans un cadre trop rigide, prédéfini. Chaque exemple se présente comme un cas unique, original, qui s'inscrit dans le champ plus vaste de l'expérience chez les mystiques de l'union de l'âme à Dieu. Survenant dans le contexte d'extases fonctionnelles propres au degré d'union appelé par sainte Thérèse d'Avila sixièmes demeures, et par saint Jean de la Croix fiançailles spirituelles, la lévitation est un signe de cette union, et donc du degré de perfection qui y est attaché. A ce titre, elle est signe de sainteté, car elle indique que la personne qui y est sujette a atteint le prélude à l'union transformante de l'âme, qui est achèvement de la vie mystique ici-bas, véritable déification de l'âme et prémices de l'union béatifique des élus avec Dieu. Le récit de l'Ascension du Christ peut, sur ce point précis, éclairer la signification du phénomène de la lévitation : l'élévation du corps ressuscité de Jésus inaugure l'achèvement de son union plénière au Père dans la gloire  de même, la lévitation signale que l'âme du mystique parvient à la perfection ici-bas de l'union à Dieu, qui connaît sa plénitude dans l'union transformante et qui s'accomplira dans l'éternelle union et vision béatifique. C'est pour cette raison qu'elle est chez les saints un signe divin :
Signe authentique de sainteté chez le mystique catholique, la lévitation traduit dans l'ordre physique la libération intérieure à laquelle l'âme est parvenue : de même que, sous l'action de la grâce, l'âme s'est affranchie de la domination et de l'esclavage du péché, de la pesanteur des passions, de même le corps se trouve momentanément exempté des lois qui le retiennent en ses limites géospatiales, comme pour attester en termes visibles la libération de l'âme qui l'anime et le meut.
Annexe Voici une liste - non exhaustive, tant s'en fait - de personnages qui ont vécu aux XIX° et XX° siècles, et sont réputés avoir présenté des phénomènes de lévitation. Sur la base des témoignages recueillis, en évaluant leur nombre autant que leur objectivité (attestations directes ou de seconde main, contemporaines ou tardives, émanant de personnes à l'esprit critique, ou au contraire portées au merveilleux, etc.), il est possible d'attribuer à chaque cas une notation de 1 à 5 : la plus haute note traduisant des faits observés indubitablement et fréquemment, par des témoins multiples, dans les meilleures conditions  basse sanctionnant des exemples peu et/ou mal attestés. Un astérisque indique les stigmatisé(e)s. 1. Saints et bienheureux. Saint Fran SUITE DANS LE LIVRE (presque 500 pages...) .
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