Attachée
de Presse : Marie Guillard 01 44 09 08 78
ISBN
2-914569-34-3 EAN 8782-914569-347
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passible des peines prévues par la loi du 11 mars 1957 et
du 3 juillet 1995, sur la protection des droits d'auteur.
Prologue
Lorsque
j'étais petite, des centaines d'enveloppes arrivaient à
la maison en provenance des divers sanctuaires dédiés à
Saint-Jude.
Voyez-vous,
ma mère était terriblement attachée à
Jude, et notre famille a passé plus d'une soirée à
éplucher les listes des causes impossibles avec des cases à
cocher pour les prières spéciales.
Puis
est arrivé le jour où, comme pour les colonies de
vacances et les photos d'acteurs, j'ai eu l'impression d'avoir passé
l'âge des saints intercesseurs. Ma carrière de
journaliste sur une grande chaîne de télévision
américaine me laissait peu de temps ou d'énergie pour
les questions spirituelles, sauf pour couvrir le Vatican dans les
grandes occasions, ou des reportages ponctuels sur une Vierge
apparaissant soudain dans le jardin de banlieue d'un quidam.
Néanmoins,
voici quelques années j'ai remarqué à un ami que
Saint Jude semblait avoir vraiment le vent en poupe, et qu'on
pourrait y consacrer un éditorial 
que sans même m'en rendre compte, j'avais mené une vie
sans anicroche, en travaillant continuellement sur le territoire de
Saint Jude, avec des moyens désespérés, mais
sans jamais prendre conscience de sa présence.
C'était
là une réflexion sérieuse.
S'il
avait raison ? Alors quelque chose m'a forcée à le
reconnaître : Saint Jude semblait avoir toujours été
là, ce saint omniprésent qui s'était effacé
quelques temps, uniquement pour réapparaître avec une
fantastique revendication, celui de saint patron des derniers
recours, des causes perdues, de l'impossible, bref, celui qu'on
appelle au secours quand le bateau coule.
N'était-il
qu'une légende ?
S'il
en était ainsi, la personnalité énigmatique,
mythique de Saint Jude, sans parler de sa réputation de
réaliser l'impossible, le désignait comme un sujet de
premier ordre pour quiconque s'intéressait à
l'actualité, même de loin.
Et
soudain, le mystère de sa longévité et de son
secret a commencé à titiller mon sentiment d'être
à la fois journaliste et catholique.
Non,
ce n'était pas parce que j'avais envie de me retrouver chez
moi, petite fille, assise à la table de la cuisine chez ma
mère à lire les lettres de supplications à Saint
Jude.
N'était-ce
pas plutôt pour savoir si j'avais, moi aussi, une histoire
personnelle avec lui ?
Les
hagiographes, les exégètes et
tous ceux qui écrivent des livres et des articles, avaient dit
sur Jude tout ce qu'ils avaient à dire.
Mais
pour moi, il était temps d'effectuer ma propre enquête.
Un
murmure dans la rue :
Baltimore
Et ceux qui hésitent,
ayez-en pitié 
en les arrachant du feu. Epître de Jude.
Je veux remercier
Saint Jude d'avoir écouté mes prières. Je
n'avais personne d'autre vers qui me tourner... R.S. 1997
Le
mafioso Vincenzo Pullara, trapu et bien en chair, affiche le visage
fermé d'un homme dépositaire de sombres secrets.
Vincenzo et son groupe sont en route pour effectuer une neuvaine au
sanctuaire de Saint Jude, le saint patron des causes impossibles. De
son propre aveu, il est en bons termes avec
« des
types qui traînent dans les cafés
»,
et il ne parle pas des établissements de grande classe. Ses
compagnons et lui sont de l'étoffe des personnages des
mini-séries de Hollywood : on chuchote leurs surnoms
infantiles dans les couloirs sordides des tribunaux criminels de New
York. Même le FBI a parlé une fois de Vincezo Pullara
comme d'un lieutenant de la famille Gambino.
Donc,
par une journée orageuse du mois de mai, lui et une
quarantaine de ses amis foncent sous la pluie et dans le brouillard,
tranquillement installés dans un bus Greyhound en direction de
Baltimore.
Ce
sont des pèlerins.
Dans
quelques heures, ils s'agenouilleront au pied d'une statue d'une
affligeante banalité, qui, en réalité, va
transformer l'intensité de leur gratitude et de leur dévotion
en un profond soulagement.
Et
moi aussi je les accompagne, sans trop savoir pourquoi. Peut-être
pour justifier une intuition de journaliste, un pressentiment que
j'ai depuis longtemps et qui subodore qu'il se passe quelque chose de
très intéressant à propos d'un homme qui
s'appelle Saint Jude, quelque chose en quoi on croit vraiment, et
qui, bizarrement, est souvent vérifié, mais qui n'a
jamais été exploré.
Lors
de mon enfance catholique, très représentative de toute
une époque, et à présent incroyablement
lointaine dans mon souvenir, Jude se tenait immobile parmi d'autres
saints. S'il était plus ténébreux et plus
artificiel que les autres, en revanche il est accrédité
du pouvoir aussi vaste qu'imprécis, de secourir et de sauver
les causes les plus perdues. Ténébreux, c'est vrai,
mais devenant imposant comme l'ombre d'une montagne grâce à
l'intense conviction et à la dévotion du grand nombre
de ses partisans.
De
façon impersonnelle certes, Jude est devenu pour moi plus réel
dans ma vie d'adulte. Avec ses fervents admirateurs et ses oeuvres
étranges qui surgissent à des endroits inattendus, le
saint reste à l'arrière-plan. Sans cesse, je me
heurtais à des histoires de ce Soldat Inconnu de l'esprit, qui
attirait d'innombrables âmes nouvelles, des gens qui
attendaient un espoir nouveau dans un monde toujours plus désespéré.
Mais
pourquoi ? Et comment ? Je posé la question à
Vincenzo :
« Vous
savez, avant, je n'y croyais pas
»,
me dit-il,
« mais
maintenant, je vois que des choses se passent quand je demande son
aide. Et il faut que je le remercie
».
Et le remerciement mérite d'être de taille !
En
1987, deux redoutables procureurs du ministère de la Justice,
Louis Freeh ( à présent patron du FBI ), et
Rudolph Giuliani ( élu depuis maire de New York ),
pistaient un certain nombre de clients des cafés vus
précédemment. Ces cafés étaient impliqués
dans une filière d'importation d'héroïne qui
fonctionnait à partir de diverses pizzerias de Brooklyn, tout
en exportant ses « pizzas » jusqu'en Sicile.
Avec obstination, Giuliani et Freeh ont finalement obtenu
17 condamnations dans l'affaire de la
« Pizza
Connection
».
Accusé
de s'être enfui à la suite d'un « contrat »,
un assassinat à la carte, le nom de Vincenzo apparaissait
aussi dans le mitraillage à bout portant d'un autre accusé
dans une rue animée de Greenwich Village. Et voilà le
point : Vincenzo a été mystérieusement
sauvé quand un témoin clé du ministère de
la Justice est soudain revenu sur ses déclarations faites sous
serment. Du coup, les autorités ont été
contraintes d'abandonner l'accusation. Notre homme est donc convaincu
que ce sont les supplications de sa femme à Saint Jude qui lui
ont évité la prison. Il lui adresse un sourire
rayonnant, en faisant miroiter le diamant à son petit doigt.
Dans
le bus, Jerry Pullara distribue des barres chocolatées et du
solide saucisson sicilien, tout en rejetant sa chevelure en arrière
afin que ses boucles d'oreille en or 14 carats soient admirées.
Il n'aime rien de plus qu'amener ses convives devant la statue de
Saint Jude, haute de 1,70 m, trônant dans son salon du
Queens :
« Je
lui parle tous les jours en m'occupant de la maison
»
me confie-t-il. « Je ne sais pas ce que je
ferais sans lui. Je le consulte à propos de tout
».
Maintenant,
les enfants chantent en patois sicilien 
dans la lecture de Oggi, le Voici italien, et une dame
tout de noir vêtue se tourne vers les voyageurs pour entonner
« In
nomine Patris, et Filii, et Spiritu sancti...
».
Les pèlerins ont commencé leur voyage.
*
Voici
plus de 70 ans, l'écrivain Gilbert K. Chesterton avait déjà
noté que
« l'Amérique
est une nation qui a l'âme d'une église
».
Cette sage remarque peut maintenant apparaître comme une
véritable prémonition 
du troisième millénaire, l'Amérique s'est
engagée dans le réveil religieux le plus fervent de son
histoire. Mais ce n'est pas un simple étalage d'anges aux yeux
rêveurs, ni le tintamarre des vibrations du New-Age. Non. Il
s'agit d'un mouvement commun d'esprits, d'un ardent désir des
coeurs, et, de manière plus profonde, de la plainte et de
la désespérance de tout un peuple qu'on a longtemps
considéré comme le plus béni parmi toutes les
nations : le meilleur, le plus brillant, le plus riche, le plus
attachant, le plus intelligent et le plus résolument
optimiste.
Et
maintenant, peut-être, le plus désespéré.
La
paix, la prospérité, le triomphe et la bonne conscience
de la Guerre froide nous ont conduit à une époque et à
un sentiment de « retour à la réalité »
où nos esprits explorent eux-mêmes un vide que nul
soldat américain, nulle victoire politique ne semble capable
de combler. Jadis, nos triomphes intellectuels et techniques ont
nourri notre légendaire optimisme, notre conviction qu'en tant
que chef du monde libre,
« tout
va bien
»,
et, sous-entendu, du monde honorable. Il n'est guère
surprenant que des gens conditionnés à voir ces talents
comme les conditions préalables à tout bonheur, à
tout projet et à l'estime de soi, se sentent diminués,
dépréciés et désespérés au
moment même de la victoire.
Quand
nous découvrons qu'une petite nation du sud-est asiatique,
rongée par la pauvreté, peut nous mettre à
genoux, et que
« Made
in Japan
»
n'est plus un synonyme d'imitation à bas prix, nous nous
retrouvons face à notre propre vulnérabilité non
seulement en tant que nation, mais aussi en tant qu'individu 
ou, comme l'expriment les théologiens, on se retrouve aux
limites de notre état de « créature ».
Et le recours approprié à cette impression de perte,
doit être l'espérance car, en son absence, c'est le
désespoir qui attend pour occuper la place vide.
Un
grand nombre de nos prières exaucées nous ont laissé
sur notre faim, avec une impression de déception, d'inachevé,
une fois l'exploit accompli, après le moment de triomphe, même
s'il est considérable dans le monde matériel.
Les
diplômés de la génération
« Moi
je
»
qui aspiraient à devenir les
« Maîtres
de l'Univers
»
semblent avoir découvert à l'âge mûr qu'ils
ne sont même pas capables de contrôler leur propre
destin.
C'est
donc une époque de mutation interne, avec le besoin
d'expérimenter personnellement qu'il existe bien une puissance
plus importante que soi. La prière - l'ultime sensation -
redevient alors à la mode. Verrons-nous le jour où, à
la télévision, nous tomberons sur un animateur onctueux
qui questionnera un panel d'invités sur le thème
« Des gens qui espèrent
trop ? »
Il
existe une thérapie qui propose l'optimisme modéré,
c'est-à-dire parler sans fin de soi-même et de
prétendues recettes miracle pour soigner des agonies
interminables 
longtemps. Même le sexe - qui fâcheusement est passé
pour le remède racoleur et universel de ces 30 dernières
années - n'a rien libéré. Au lieu de la
paix intérieure, on parvient à l'émiettement, le
déracinement, le divorce, le choc des cultures, la haine
raciale, la drogue, l'alcool et les maltraitances envers les
enfants 
insatiable et sans nom.
Après
avoir défini le
« prix
à payer
»,
nous découvrons justement que ce monde n'en offre aucun assez
élevé pour masquer ses horizons sombres et vides. On
possède la Mercedes pour laquelle on a prié, et on se
rend compte qu'avec elle, les libertés de notre coeur ne
vont guère plus loin que nos deux jambes.
Après
s'être considérée si longtemps comme
« le
peuple élu
»,
l'Amérique se vautre maintenant dans un dégoût de
soi culturel et spirituel, alors que les églises se vident,
discréditées dans l'esprit des gens comme l'Etat. Quant
à la croyance que les choses vont s'arranger, que l'avenir
appartient au pays choisi par Dieu, les ténèbres se
dissolvent dans un malaise informe.
Sous
l'effet de cette défiance de soi, sancta simplicitas, la
sainte simplicités'est amenuisée dans notre
existence.Toutes les formes de foi, même dans la
science, sont menacées 
approximatives de l'esprit qui se précipitent pour combler la
blessure béante.
- Des
radiesthésistes et des chasseurs d'ovnis racontent leurs
histoires à plus de monde que jamais auparavant.
- Les récits
d'apparitions de la Vierge et d'icônes qui pleurent atteignent
une fréquence jamais vue.
- Les rumeurs de
catastrophes millénaristes, que ce soit la Fin des Temps, ou
une Nouvelle Renaissance dans un New Age insondable, vont bon train.
Ils mêlent un sentiment d'urgence et parfois de terreur dans le
débat spirituel.
- Tous les membres d'une
secte se suicident ensemble pour ne pas rater le voyage sur une
comète.
Il
n'est donc pas surprenant que les chants grégoriens
resurgissent du passé pour rentrer dans les meilleurs ventes
de disques. Ou qu'un sondage commandé par le magazine Time
et CNN indique que 82% des 1004 personnes interrogées
croient au pouvoir de guérison de la prière
personnelle.
L'espérance,
le dernier point de rencontre des mondes séculier et
religieux, qui fonctionne entre le pressentiment et le désespoir,
nous démontre que l'on peut en quelque sorte se frayer un
chemin parmi les décombres pour continuer à avancer.
Ou, pour dire les choses plus brutalement, on a l'impression d'avoir
affaire à une race humaine
« déchue
»
qui doit finalement rechercher l'espérance bien au-delà
des limites de la création.
« Espérer
contre toute espérance
»
disons-nous, en admettant inconsciemment que l'espoir rationnel,
ordinaire, doit être dépassé par une espérance
plus élevée, et même irrationnelle.
En
se tenant soigneusement à l'écart des services rendus
par la religion dans ce monde, Saint Jude Thaddée nous fait
signe, prêt à se montrer au-delà des solutions
terrestres, et à nous héberger dans les territoires du
dernier recours. A la fin, c'est par lassitude que nous nous en
remettons à sa protection discrète, mais totale. Celui
qui est épuisé se rend compte que ça vaut la
peine d'attendre - il existe vraiment un recours.
Solitaire,
cheminant sur une voie secrète, totalement à l'écart
de la foule des signes et des recherches du millénaire, Jude
attend que le juste, comme l'égaré, l'appelle par son
nom. Mais à la différence d'une grande figure bien
établie historiquement, c'est un saint anormal, pour un âge
anormal, qui choisit le moment et le lieu de son intervention, et ce
de manière aussi troublante qu'il intervient. On peut
comprendre qu'une guerre mondiale ou une crise jette des foules de
gens dans le camp des troupes irrégulières de Saint
Jude, comme ce fut le cas dans le passé 
gens se tournent vers lui dans une époque de paix et de
prospérité, alors il nous faut envisager l'inquiétante
perspective que les conséquences perfides du vide moral sont
plus désastreuses que celles de la persécution et de la
guerre.
Saint
Jude Thaddée, le moins connu des Apôtres, et pourtant le
plus célèbre dans le monde entier pour ses oeuvres
spécifiques, s'est incorporé ou plutôt s'est
évadé de l'histoire depuis le moment où le fils
du charpentier l'a appelé à ses côtés. De
retour aujourd'hui, il projette son ombre au beau milieu du combat
éternel entre l'espérance et le désespoir et
revient avec une force plus grande que jamais auparavant.
Galvanisé
par une vision très spéciale, Saint Jude - et
les Judéens - ont fait surface au
sein de l'aridité qui semble craqueler le monde entier pour y
apporter le réveil de l'espérance. Non pas la grande
vertu elle-même, aux contours bien définis, mais le
début d'un éveil des coeurs dans le monde entier,
des âmes tendues à l'extrême mais qui trouvent une
dernière main secourable avant de craquer. Ce n'est pas
l'espérance de la foi qu'elles cultivent, c'est l'espérance
de l'espérance.
Plus
déconcertant que tout, il y a l'impalpable omniprésence
de cet homme mystérieux qui, sans l'appui d'une preuve
historique ou théologique, a reçu l'incroyable fardeau
de récupérer les causes perdues. On dit que c'est un
saint. Mais est-ce davantage ? Et même
« s'il
n'est qu'un saint
»,
à quel autre saint ressemble-t-il ? A un Jérôme
querelleur ? à un Augustin passionné ? à
Thérèse ? à Jeanne ? Il échappe
à ce genre de comparaisons, comme toujours. Quand on commence
à chercher Saint Jude, c'est dans la rue qu'on trouve sa
présence, et son histoire, là où les nouvelles
devancent les journalistes ou les invités des émissions
télévisées. Elle explose dans la vie des gens
ordinaires, rapide et sophistiquée comme un avion furtif,
saute d'une bouche à l'autre, d'un coeur à un
autre, et dépasse les limites des témoins de ses
oeuvres.
Ces
histoires d'espérance récompensée ne viennent
pas s'ajouter à une preuve solide des interventions
spirituelles, comme par exemple une couverture scientifique, ou
l'approbation de l'Eglise. Leur étendue géographique et
économique est illimitée, le désespoir est
logique 
de suggestions immédiates, qui démontre que Saint Jude
- le fermier, l'apôtre, le prêcheur,
le martyr, le saint, l'omniprésent -
émerge comme l'une des figures spirituelles les plus
puissantes d'Amérique.
Des
fermiers au fin fond du Middle West lui élèvent de
petites chapelles au bord des routes. A New York, les créateurs
de mode portent des colliers Jude. Des porte-clés avec la
supplication
« Saint
Jude, protégez-moi
»
ornent les costumes les mieux coupés. Des malades se font
opérer avec des médailles de Jude épinglées
à leur robe de chambre. Des fidèles et des curieux se
pressent aux neuvaines à Saint Jude dans tout le pays. On
entend prononcer son nom dans les halls des hôtels, dans les
bureaux de placement. Un jeune garçon fait la manche dans une
épicerie coréenne pour acheter son billet gagnant à
une loterie d'Etat, en disant à ses copains qu'il appellera
son fils Jude.
Dans
leurs petits salons à l'ambiance glauque, les diseuses de
bonne aventure ont des statues de Jude. On affiche son nom sur les
t-shirts, on donne son nom à un tournoi de golf, tout comme à
un club de bowling ou encore à un club de vélo.
Sa
présence la plus ancienne et la plus reconnaissable dans ce
pays s'étale dans les colonnes des petites annonces des
quotidiens et des hebdomadaires, grands ou petits. La publication de
prières pour demander son aide et des formulaires de prières
de remerciement sont le pivot de la dévotion à Saint
Jude. Un courant pseudo-judéen, une sous-culture kitsch
bourrée de superstitions et de mauvais goût, de comédie
et de tragédies, fleurit, en partie favorisée par le
statut d'Homme Invisible de Jude.
On
ne le voit pas, mais on peut facilement avoir accès à
lui, et ce Jude-là, sans fioritures, se présente avec
un rituel privé et son propre fonctionnement, qui substitue la
forme au fond.
D'innombrables
chaînes de lettres ceinturent ainsi le globe comme des
satellites :
« La
chance vous sourira dans quatre jours si vous envoyez des copies de
cette lettre à vingt personnes. Si vous brisez la chaîne,
alors préparez-vous à subir des malheurs
».
Des sites sur Jude crépitent sur les ondes de
l'Internet 
prière et un petit manuel de motivation basé sur des
détails intimes de la vie de Jude, révélés
par une
« visionnaire
»
italienne ( à propos de son enfance :
« la
famille de Saint Jude habitait dans la même rue queJésus
» 
sur sa vie d'homme marié :
« ils
partageaient leur maison, un bâtiment à deux étages
qu'ils avaientloué, avec un autre couple
» ).
Bref,
nous assistons à une explosion de Jude, à un retour
vers un saint qui, bien que mystérieux, embrigade les
désespérés et les esseulés, les croyants
et ceux qui doutent, pour qu'ils fassent cette démarche
supplémentaire envers lui pendant qu'il attend leur appel.
On
dirait qu'il attend, tapi derrière la porte, qu'arrivent ces
moments difficiles au cours desquels le coeur ne peut plus
qu'hurler de désespoir :
« Pourquoi
moi ?
»
Qu'il attend que les gens aient l'impression que même
Dieu s'éloigne d'eux, alors qu'ils croient en Lui. Ou quand il
leur semble impossible qu'un Dieu puisse exister.
Le
désespoir ne choisit jamais, il parcourt le monde et le
dévaste démocratiquement : les voies pour s'enfuir
tournent court, les organismes de secours sont en panne, la foi se
barricade, et l'espoir lui-même, l'ultime défense, se
tarit et semble dépérir.
Dans
ce mortel et éternel duel entre l'espérance et le
désespoir, cet énigmatique personnage venu des chemins
de traverse de Galilée progresse dans la poussière aux
côtés des âmes lasses de notre monde contemporain,
cette populace des désespérés qui cherchent sa
main à tâtons seulement quand ils tombent pour la
troisième fois. Pour eux, Jude Thaddée est le secours
du Tout-un-Chacun, de ceux à qui il ne reste rien d'autre que
les antiques paroles du grand psaume de David :
»
- les paroles de Jésus prononcées au tout
dernier instant sur sa croix.
Alors
que les murmures des inconsolables se fondent en un hymne commun, on
voit que les croix portées par l'armée de Saint Jude
sont infiniment variées. Les histoires qui résument ces
fardeaux s'achèvent souvent à l'improviste, comme celle
de feu Jimmy Hoffa, le célèbre syndicaliste-mafioso des
routiers américains. Après la disparition de ce géant
bizarrement bâti, son épouse Joséphine, en état
de choc et devant subir une opération de la cataracte, a passé
beaucoup de temps à prier chez eux devant un autel dédié
à Saint Jude. Hoffa lui en avait fait cadeau juste avant sa
disparition.
La
plupart du temps, l'espérance est couronnée de succès,
mais pas toujours immédiatement. Le histoires arrivent de tous
côtés. Madame L.C. écrit
de Floride :
« J'ai
rêvé d'une petite statue de Saint Jude 
dans ma chambre en train de parler avec moi, mais à mon
réveil, je n'arrivais pas à me rappeler de ce qu'il
m'avait dit. Ce songe est arrivé deux nuits de suite... Je
n'avais jamais entendu parler de Saint Jude...
».Cette dame fit part du rêve à sa mère qui lui
expliqua que c'était le saint des causes perdues. Puis elle
oublia. Au bout d'une semaine, en se rendant à l'église,
elle mit le pied sur un livret de neuvaines à Saint Jude, jeté
par terre. N'étant confrontée à aucune situation
désespérée, elle le mit de côté.
Mais ce fut au moment d'une fausse-couche
qu'elle se mit à prier la neuvaine à Saint Jude :
elle promit de donner le nom du saint à son enfant, s'il
naissait en bonne santé. Ses médecins l'avaient
prévenue de s'attendre au pire, mais elle mit au monde un
robuste petit garçon.
« Il
s'appelle Jude
».
Monsieur
P., un ancien combattant, se souvient d'avoir souffert à
14 ans d'une fièvre rhumatismale, compliquée par
des problèmes cardiaques, qui l'obligea à rester alité
pendant quatre années. Le docteur lui prédit des
activités physiques strictement limitées, ce qui
semblait mettre un terme à ses deux rêves, devenir
boxeur ou acteur. Mais un de ses copains lui parla de Jude et
« j'ai
commencé à prier très fort
».
Quand il passa l'examen médical d'admission dans
l'armée, on ne trouva aucune trace de la maladie, pas plus
qu'elle ne réapparut lors des entraînements inhumains
nécessaires pour être incorporé à la
mythique 82e
Division Aéroportée. Une fois son service militaire
achevé, il devint boxeur amateur, et à l'âge de
67 ans, il s'entraîne toujours et travaille six jours par
semaine :
« je
crois que je ne deviendrai pas un acteur célèbre
»
dit-il en s'esclaffant, et ajoute qu'il remercie Saint Jude
tous les jours pour ce
« grand
miracle de sa santé
».
Pour
mieux expliquer ce qu'est Jude, il nous faut considérer
ce qu'il n'est pas. Il n'existe pas de mythe officiel
prédominant, aucune iconographie alambiquée ne le
baigne d'une lumière céleste, il n'y a pas de grande
histoire de Jude, ou d'association pour attirer notre attention
- seulement des merveilles qu'on raconte et qu'on se répète
à mi-voix, et qui passent d'un copain à un inconnu,
puis à une oreille indiscrète. Curieusement, jamais
personne ne semble avoir revendiqué une vision de lui. On ne
voit pas pleurer de statues de Jude. On n'en trouve même pas la
trace dans les programmes des écoles religieuses. Et pourtant,
quand tout le reste a échoué, quand tous les
« spécialistes
notoires
»
se sont cassé les dents sur la tâche, on sait que Jude
traîne dans les coulisses. Et c'est seulement plus tard que les
gens se rendent compte que cette présence, c'est Jude. C'est
en prenant du recul qu'ils le reconnaissent. Ils ne se présentent
pas de face comme d'habitude, et selon les règles
soigneusement codifiées de l'église, en demandant :
« A
qui dois-je m'adresser pour ceci ?
»
Il y a la méthode des bureaucrates de Rome, et puis, il y a
Saint Jude, l'apôtre révéré de Jésus,
et en même temps très différent de Rome, de tout
ce qui est organisation, bureaucratie. Les gens se tournent vers lui,
souvent sans savoir si c'est un homme ou une femme, un juif ou un
Gentil. Ce n'est qu'à la fin qu'ils voient que c'est à
Jude qu'ils se sont adressés.
Les
appels qu'on lui lance ne ressemblent pas à ceux qu'on fait à
des saints que l'on prie pour les voyages en avion, sur les champs de
bataille ou pour les chauffeurs de taxi, etc. Le domaine des causes
impossibles embrasse un champ bien plus vaste de l'humanité,
et ainsi, par définition, il exige un intermédiaire
doué de pouvoirs particuliers. Etre un apôtre et
probablement un cousin de Jésus, c'est sûrement cela qui
fait que Jude se présente comme quelqu'un qui s'y connaît 
et pourtant, ces circonstances elles-mêmes sont souvent
ignorées de ses fidèles. Au lieu de ça, il
arrive comme une aide sainte, comme quelqu'un qui se cachait derrière
le rideau. L'immatérialité de Jude est l'essence même
de sa séduction. A une époque où les saints
sont célébrés à grand renfort de
publicité, c'est une ombre en creux singulièrement
douée, dont on perçoit à peine les contours, pas
un saint monté en épingle avec des miracles tapageurs,
comme la danse du soleil à Fatima, ou des sanctuaires
clinquants, agrémentés de béquilles comme à
Lourdes. Ce n'est pas le compagnon de toute une vie, comme on perçoit
la Vierge, ou saint Christophe, réformé à
l'heure actuelle. Michel-Ange ne l'a jamais immortalisé dans
le marbre. Jude n'attire pas l'attention. Il est presque passif,
c'est un saint de l'ombre qui voyage léger.
De
nos jours où on se fait particulièrement remarquer par
le bruit qu'on fait autour de soi, il se tient en silence, sans
légende : Jude, c'est celui qui a choisi de vivre dans
l'ombre, une guérilla qui opère en douce dans le
brouillard, une apparition à l'horizon le plus éloigné,
le plus lointain - et pourtant, c'est celui
qui entend les cris les plus faibles, les plus désolés.
Il y a une qualité médiumnique autour de cela, comme si
les gens ressentaient vaguement qu'ils sont connectés avec
l'espérance - avec Jude.
Etait-ce
par accident que les Beatles ont fait de cette impression le plus
gros succès de leur fabuleuse carrière
« Hey,
Jude
» ?
Mentionnez le saint à toute personne qui ne le connaît
pas, et attendez-vous à entendre quelques mesures de cette
chanson inoubliable, un hymne à l'espérance. Depuis des
années, beaucoup de gens sont persuadés que ces héros
musiciens aux cheveux en bataille des années soixante étaient
sous le charme du saint de l'impossible 
arrivés à trouver une invocation inconsciente dans
cette obsédante mélodie. Mais John Lennon et Paul
McCartney ont toujours défendu l'origine profane de cette
chanson, en démentant sagement les
analyses psychologiques et les prédictions pêchées
dans le marc de café qui prétendent que leurs paroles
ont soi-disant un sens caché. Cette attitude n'est pas
inhabituelle chez un groupe de jeunes de Liverpool dont le charme
découle essentiellement de leur aversion congénitale
pour l'affectation et qui soulignent qu'il y a toujours moins à
voir que ce que l'oeil perçoit.
La
plupart des récits sur l'évolution de cette chanson
commencent lorsque Paul McCartney, au volant de son Aston-Martin,
ramenait de Londres le fils de John Lennon, Julian âgé
de 5 ans, à sa mère Cynthia. A cette époque, le
couple Lennon n'était pas loin de divorcer car Yoko Ono était
déjà bien installée dans la vie du musicien.
McCartney, qui voulait consoler Julian, commença à
chanter
« Hey,
Julian
»
qui évolua en
« Jules
»,
puis plus tard en
« Jude
».
Comment ? Ce n'est pas clairement expliqué, bien que
certains pensent que ça convenait mieux historiquement pour la
mélodie. L'explication la plus courante est que Lennon a bien
aimé la chanson, et il a cru que Paul lui avait inconsciemment
adressée à cause de sa liaison avec Yoko, comme si
McCartney lui disait :
« Hey,
John
».
Quant à la surprenante suggestion dans la chanson, qui dit
qu'il faut
« un
geste
»
sur l'épaule de quelqu'un ( Jude, ou John ), on
raconte souvent que Lennon l'aurait entendu comme un message de
McCartney :
« L'ange
en lui disait ''Sois béni''
».
Les
Beatles l'ont enregistré dans l'Apple Boutique sur Abbey Road,
un magasin de vêtements qu'ils avaient acheté pour le
transformer en studio. La veille de l'enregistrement, quelqu'un avait
passé la vitrine à la chaux blanche et avait griffonné
« Hey
Jude
»
en travers. Des commerçants se sont mis en colère en y
décelant une touche d'anti-sémitisme, et quelqu'un a
même fracassé la vitrine avec une brique. Peu importe.
Le surlendemain, la mise au point de l'enregistrement a eu lieu en
une seule prise, 7 minutes d'espoir mis en musique.
La
chanson est sortie le 30 août 1968. Malgré les craintes
McCartney, en deux semaines, elle est devenue un tube. Bien qu'une
bonne partie soit
« gnagnan
»,
des millions de gens y ont entendu l'écho de l'espérance,
l'écho de Jude. Dans son livre Tell me why, Tim Riley
évoque la chanson en ces termes
:
« La
touche de génie réside dans sa façon de faire
participer l'auditeur au même pèlerinage
».
Et
c'est un voyage de prières, un voyage qui vous prémunit
contre la crainte, ou un trop grand détachement, car ce sont
des choses qui vous empêchent de retrouver la paix intérieure,
ou l'espérance, tout ce qui améliore l'existence. On
dirait qu'une petite chanson peut réécrire la triste
musique de la vie.
*
Mais
que sait-on réellement de Saint Jude ? Sa présence,
furtive comme on peut l'imaginer, apparaît et disparaît
de l'histoire de l'Evangile avec moins d'impact que celle d'une
douzaine de caractères mineurs, y compris les trois Marie qui
n'étaient pas la mère de Jésus - obscures à
leur façon, car elles n'ont jamais été
spécifiquement identifiées - tout comme Marthe,
Lazare, Simon de Cyrène, ainsi que le bon et le mauvais
larron.
Il
n'y a virtuellement aucune étude sur lui, que ce soit au
niveau scolastique ou populaire 
personne ne sache vraiment quand et comment un apôtre aussi
obscur est-il devenu dans le monde entier si étroitement
associé avec les causes impossibles. Une neuvaine d'origine
espagnole peu connue mais de style lyrique, datée de 1702, ne
fait aucune référence à une telle
connexion. Mais les auteurs jésuites des Acta
Sanctorum, le précis suprême de la vie des saints,
mentionnent dans le tome 12 ( volumes d'octobre ) de leur
commentaire de 1863, une dévotion
« inouïe
»
à Saint Jude
« dans
certaines régions
».
Ils citent un
« Petit
office de Saint Jude
»
publié en 1826 qui le décrit de manière
spécifique comme
« avocat
spécial des infortunés et de ceux qui sont près
de perdre l'espérance
».
La
question de savoir pourquoi Jude a été
« négligé
»
rappelle une théorie souvent répétée :
la ressemblance entre le nom de Jude et celui du traître Judas
l'Iscariote embrouillait les gens et leur faisait même peur.
Qui a finalement éclairé cette confusion, et pourquoi,
n'est pas expliqué. En l'absence de preuve avérée,
on peut seulement soupçonner que l'intercession efficace de
Saint Jude en faveur de ceux qui vivent des situations désespérées
a établi sa réputation de saint secourable.
La
longueur comparée des articles consacrés à Saint
Jude dans le grand Acta sanctorum souligne son mystère.
Par exemple, dans un échantillonnage de Saint Jude dans les
volumes d'octobre, qui
recouvrent une période de plus de 200 ans, le texte sur Saint
Norbert totalise 107 pages ; Saint Anselme de Canterbury, 89 
Sainte Brigitte d'Irlande, 87 
Saint Jude, apôtre du Seigneur, fait triste mine avec ses 39
pages à la fin.
Ce
que nous savons de lui émane principalement de trois sources :
les Evangiles, les écrits des Pères de l'Eglise, et la
Tradition. La légende aussi a brodé, pour une part plus
importante qu'à l'accoutumée, sur son histoire, aussi
brève qu'elle soit. Le point essentiel est le suivant :
c'est le 11e nommé parmi les 12 apôtres
de Jésus. Dans l'Evangile de Jean on l'appelle :
« Judas,
pas l'Iscariote
»sans doute pour tenter de le différencier du traître.