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256-bit encryption Exp 8 juillet 2020 |
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Quelque temps après, mon fils Métoushèlah prit une femme pour son fils Lamek, et elle devint enceinte de lui et lui donna un fils. Et il avait un corps blanc comme la neige et rouge comme la rose, des cheveux blancs comme la laine et un beau demdema (« longue chevelure bouclée )   et pour ses yeux, quand il les ouvrait, toute la maison brillait comme le soleil... Et son père Lamek eut peur de lui et s'enfuit auprès de son père Métoushèlah, et lui dit : « J'ai engendré un fils étrange. Il n'est pas comme un humain ordinaire, sa forme est différente, il n'est pas comme nous... Il ne me semble pas qu'il soit de moi mais des anges...»
Par
ces lignes débute un fragment de texte religieux qui, plus
qu'aucun autre texte jamais écrit sans doute, stupéfie
et donne le frisson. Le patriarche antédiluvien Énoch y
exprime le sentiment de douleur et d'horreur qui accompagna la
naissance miraculeuse du fils de son petit-fils Lamek. Ce passage est
tiré du Livre de Noé, un écrit ancien d'origine
hébraïque annexé au texte plus fameux du Livre
d'Énoch, ouvrage pseudépigraphe (c'est-à-dire
faussement attribué) dont les spécialistes pensent
qu'il fut composé par étapes dans la première
moitié du IIe siècle av. JC.
Le
problème évoqué par ces lignes révélatrices
semble sans ambiguïté : la femme récemment
épousée par Lamek a donné naissance à un
enfant qui ne montre aucune ressemblance avec ses parents immédiats
et dont l'aspect est complètement différent de
celui des autres « humains » puisqu'il
possède une peau blanche et rougeâtre, de longs cheveux
blancs, bouclés et « beaux » et
des yeux qui font mystérieusement « briller
toute la maison comme le soleil ». De cet aspect
particulier, Lamek conclut seulement que sa femme a été
infidèle parce que le bébé ressemble aux
« enfants des anges » qui ne sont « pas
comme nous ».
Cette
conclusion de Lamek semble extraordinaire et son sujet paraît
bien étrange pour avoir été inventé sans
raison par un scribe religieux. En admettant un instant que ce récit
rapporte un événement réel de l'histoire
de l'humanité, cela signifierait que l'apparence
étrange de cet enfant était celle de la progéniture
des anges et qu'il devait donc être le produit de l'union
d'une femme mortelle avec un « messager »
divin, une « intelligence céleste »
au service de Dieu lui-même.
C'est
assurément impossible puisque selon la tradition
judéo-chrétienne, les anges sont incorporels et n'ont
ni forme ni substance. Ils sont certainement incapables de se
reproduire par immaculée conception. Dès lors,
l'histoire de la naissance de l'étrange fils de
Lamek est en contradiction directe avec les enseignements rabbiniques
du judaïsme et avec le credo de la foi chrétienne. Et
pourtant, ce texte existe bel et bien et contient, comme chacun peut
le vérifier, ces mots hérétiques indiquant que
des êtres angéliques étaient capables de produire
des enfants en frayant avec des femmes mortelles.
Pour
qui a l'esprit ouvert, cette énigme est déroutante 
et le mystère s'épaissit encore avec une
description plus personnelle de la naissance du fils de Lamek, que
l'on trouve dans un fragment mal conservé de texte
religieux découvert en 1947, avec de nombreux autres
manuscrits enroulés et friables, dans une grotte surplombant
la mer Morte. Cet ouvrage unique, que les spécialistes
appellent l'Apocryphe de la Genèse, est écrit
en araméen, langue syriaque adoptée par les scribes
hébreux après l'exil des Juifs à Babylone
au cours du VIe siècle après JC. Le
manuscrit en question, qui remonte à une époque voisine
de celle du Livre d'Énoch, aurait contenu originellement
une autre version, plus complète, des événements
dont traite le Livre de la Genèse 
cependant si dégradé quand il fut retrouvé qu'il
n'en subsiste que les parties concernant la naissance du fils
de Lamek, le récit de l'arche de Noé et du Déluge
ainsi que les errances du patriarche Abraham.
Ce
texte fragmentaire fut traduit par Nahman Avigad et Yigael Yadin en
1954 et publié deux ans après sous le titre Un
apocryphe de la Genèse par l'Université
hébraïque de Jérusalem
Concernant la naissance étrange du fils de Lamek, le récit
diffère principalement du Livre d'Énoch en ce que
le narrateur n'y est plus Énoch mais Lamek lui-même
qui décrit la situation avec ses propres mots. La narration
débute juste après la naissance étrange, au
moment où Lamek commence à exprimer ses soupçons
sur l'infidélité présumée de sa
femme, nommée ici Bathenosh
– et présentée également comme sa sœur :
Voilà
que je pensai alors en mon cœur que la conception était
[due] aux Veilleurs et aux Saints... et aux Néphilim... et mon
cœur se troubla en moi à cause de cet enfant
À
sa femme visiblement bouleversée, Lamek fait jurer par le
Très-Haut qu'elle lui dira la vérité et
qu'elle reconnaîtra si elle a couché avec un
autre. En réponse, elle le supplie de croire en sa parole :
Ô
mon seigneur, ô mon [frère, rappelle-toi] mon plaisir !
Je te jure par le Grand Saint, le roi des [cieux]... que cette
semence est la tienne et que [cette] conception est de toi. Ce fruit
a été planté par toi... et par aucun étranger
ni Veilleur ni Fils du Ciel... Je te parle sincèrement.
Il
est clair que Lamek accuse sa femme, non d'avoir couché
avec des anges en général mais d'avoir eu des
relations avec une race particulière d'êtres
divins nommés en hébreu
‘îrin ( ריע ,
‘îr au singulier), un terme signifiant « ceux
qui veillent » ou « ceux qui sont
éveillés » et traduit en grec par
Έγρήγοροι
egregoris ou grigori qui signifie « veilleurs ».
Ces Veilleurs apparaissent principalement dans les ouvrages
pseudépigraphes et apocryphes d'origine juive tels que
le Livre d'Énoch et le Livre des Jubilés. La
tradition hébraïque donne à leurs enfants le nom
de, nephilim, mot hébreu signifiant « ceux
qui sont tombés » ou « les
tombés » et traduit en grec par γιγάντες,
gigantes ou « géants » –
une race monstrueuse dont parle l'auteur grec Hésiode
(v. 907 av. JC.) dans sa Théogonie. Cet ancien ouvrage
grec décrit principalement, comme le récit biblique, la
création du monde, l'émergence et la chute d'un
Âge d'Or, la venue des races de géants et pour
finir un déluge universel.
Le
touchant plaidoyer d'innocence qu'adresse Bathenosh à
son époux et frère Lamek paraît des plus
convaincants et donne à croire que cet antique récit
pourrait contenir une parcelle de vérité. Il se
pourrait qu'il repose tout simplement, d'une certaine
façon, sur un événement réel survenu dans
le passé de l'humanité. Qui étaient ou
qu'étaient donc, si c'est le cas, ces Veilleurs et
Néphilim susceptibles de coucher avec des mortelles et de
produire des enfants reconnaissables à leurs simples traits ?
Existe-t-il des raisons quelconques de penser que ces récits
apocryphes évoquaient le croisement entre deux races
différentes d'êtres humains, dont l'une
aurait été identifiée par erreur aux anges du
ciel ?
Le
Livre d'Énoch semble fournir une réponse. Lamek,
que sa situation inquiète, consulte son père
Métoushèlah qui, incapable d'y remédier,
s'en va voir son propre père Énoch qui vit
désormais, retiré du monde, « parmi les
anges ».
Metoushélah finit par retrouver Énoch dans un pays
éloigné (que l'Apocryphe de la Genèse
désigne du nom de « Parwaïn » ou
Paradis) et lui rapporte les angoisses de son fils Lamek 
Énoch le juste apporte la lumière sur la situation :
Le
voile se lève donc enfin et le lecteur du Livre d'Énoch
apprend ainsi que certains anges du ciel ont succombé au péché
de chair et ont pris femme parmi les mortelles. De ces unions impies
sont issus des rejetons de chair et de sang dotés d'une
stature de géant et conformes, semblerait-il, à la
description de l'enfant de Bathenosh. Cette violation des lois
célestes de Dieu était considérée comme
une abomination porteuse de maux et de corruptions pour la race
humaine, et dont la sanction serait un déluge destiné à
laver le monde de son infamie.
Et il
arriva, quand les hommes commencèrent à se multiplier
sur la surface du sol et que des filles leur furent nées, que
les fils de Dieu virent les filles des hommes et qu'elles
étaient belles 
de leur choix
Le
terme « fils de Dieu » désigne
ici les anges du ciel, bien que la traduction correcte du texte
original hébreu 1501;יחלאינב ,
bene ha-elohim, soit en fait « fils des dieux »,
une perspective bien plus déconcertante sur laquelle nous
reviendrons.
Au
verset 3, Dieu déclare de façon inattendue que son
esprit ne peut demeurer à jamais dans les hommes et que,
puisque l'humanité est une création de chair, sa
durée de vie sera ramenée à « 120
ans ». Mais au verset 4 le texte relance brusquement
le thème initial du chapitre :
Les
Néphilim étaient sur la terre en ces temps-là et
aussi après, quand les fils de Dieu vinrent trouver les filles
des hommes et leur donnèrent des enfants : c'étaient
les hommes puissants d'autrefois, les hommes de renom.
J'ai
lu ces mots à voix haute des centaines de fois, toujours me
demandant : que peuvent-ils bien signifier ? Aucune réponse
ne fait l'unanimité sur cette question dont, depuis 2000
ans, érudits, mystiques et essayistes proposent des
interprétations différentes. Les théologiens
s'accordent en général à dire qu'il
faut voir dans ces récits, non la transcription littérale
de faits mais un symbole de la chute de l'humanité
passant, aux temps antédiluviens, d'un état de
grâce spirituelle à un état de conflit et de
corruption.
Ce
que disent ces textes, selon les théologiens, c'est que
lorsque le mal et la corruption gagnent le monde à pareille
échelle, seuls échappent au courroux de Dieu ceux dont
le cœur et l'esprit sont les plus purs – à
l'exemple de Noé et de sa vertueuse famille. Il s'agit
donc d'un enseignement purement allégorique destiné
à informer le lecteur des conséquences inévitables
de l'infamie.
Selon
les érudits, les références des versets 2 et 4
aux « fils de Dieu » allant « trouver
les filles des hommes » montrent que même les
êtres les plus proches de la pureté de Dieu peuvent être
infectés par la corruption et le mal. Il était
communément admis chez les enseignants religieux que toute
union impie entre les anges et les mortelles ne pouvait donner, étant
contraire à la volonté de Dieu, que des descendants
monstrueux. Cette idée insolite avait, d'après
les premiers Pères de l'Église, inspiré
les divers ouvrages apocryphes et pseudépigraphes consacrés
à la chute des anges et à la corruption de l'humanité
avant le Déluge.
Certains
juifs et chrétiens plus fondamentalistes ont attribué
cette corruption et cette infamie aux descendants des premiers anges
déchus qui avaient frayé avec les mortelles avant le
Déluge. De telles suggestions peuvent sembler hasardeuses 
il existe pourtant aux États-Unis une organisation appelée
les Fils de Jared, en référence au patriarche Jared qui
était le père d'Énoch et à l'époque
duquel les Veilleurs étaient censés avoir été
« rejetés » du « ciel ».
Dans leur manifeste, les Fils de Jared vouent une « guerre
implacable aux descendants des Veilleurs » qui
auraient, affirment-ils, « dominé l'humanité
tout au long de l'histoire en tant que pharaons, rois et
dictateurs ». Le Jaredite Advocate, leur
porte-parole, cite sans compter le Livre d'Énoch et
considère les Veilleurs comme « une sorte de
super-gangsters, une Mafia céleste gouvernant le monde »
Ce point de vue reflète-t-il seulement l'acceptation
dogmatique de la chute, depuis le ciel, d'anges de chair et de
sang ? Combien d'individus les Fils de Jared ont-ils
accusés ou persécutés en les prenant pour des
descendants modernes des Veilleurs ?
À
côté de cela, certains érudits, tout en refusant
toute base factuelle aux anges déchus et à leurs
enfants monstrueux les Néphilim, sont prêts à
admettre que les auteurs originels du Livre de la Genèse
(attribué traditionnellement à Moïse) aient pu se
baser sur des légendes populaires préexistantes
vraisemblablement issues de Mésopotamie (l'Irak actuel).
Dans Middle Eastern Mythology, l'historien S. H. Hooke
reconnaît par exemple :
Derrière
l'allusion brève et sans doute délibérément
obscure de la Genèse 6:1-4 se cache un mythe plus répandu,
celui d'une race d'êtres semi-divins qui se
rebellèrent contre les dieux et furent rejetés dans le
monde inférieur... Le fragment de mythe préservé
ici par le yahviste était originellement un mythe étiologique
expliquant la croyance en l'existence d'une race disparue
de géants...
C'est
possible, mais accepter que la Genèse 6:1-4 dérive de
mythes moyen-orientaux beaucoup plus anciens ouvre également
la possibilité qu'une époque révolue de
l'humanité ait vu l'existence sur terre, et sans
doute même dans les régions bibliques, d'une race
humaine d'élite et probablement supérieure. On
peut imaginer que ces gens aient atteint un haut niveau de
civilisation avant de sombrer dans la corruption et l'infamie,
notamment en épousant des femmes issues de races moins
civilisées et en produisant des enfants monstrueux d'une
taille disproportionnée par rapport à leur famille. On
pourrait aussi envisager qu'une série de cataclysmes
mondiaux aient par la suite amené feu, déluge et
obscurité sur la terre, mettant un terme au règne de
cette race de « géants ».
Fallait-il
voir dans des récits comme celui de Lamek, que tourmentait la
naissance miraculeuse de son fils Noé, une pièce à
conviction quant à l'idée que les anges déchus
étaient bien plus que des êtres incorporels expulsés
du ciel par l'archange Michel, comme l'enseignent depuis
2000 ans les théologiens et propagateurs chrétiens,
musulmans et juifs ? Était-il possible de prouver leur
existence à partir d'une étude approfondie des
mythes et légendes hébraïques, suivie d'une
comparaison avec les autres religions et traditions du Proche-Orient
et du Moyen-Orient ? Et surtout, se pouvait-il que subsistent
des signes de leur existence terrestre physique, préservés
dans les documents de l'archéologie et de
l'anthropologie modernes ?
Ces
perspectives passionnantes méritaient de s'y intéresser.
Peut-être s'avérerait-il
impossible, au bout du compte, de découvrir les traces de
l'existence, dans les contrées bibliques, d'une
race aujourd'hui disparue 
du fond des âges aurait-elle fait l'objet d'une
exploration complète. Mais peut-être se trouverait-il
des témoignages solides que des anges, et des anges déchus,
ont autrefois côtoyé l'humanité sous la
forme d'êtres de chair et de sang semblables à
nous, et alors notre vision de l'histoire mondiale pourrait en
être changée pour toujours.
Avec
l'avènement du christianisme, le Livre d'Énoch
et d'autres ouvrages similaires devinrent pour la première
fois accessibles. Les premiers chefs de l'Église furent
nombreux, entre le Ier et IIIe siècles
av. JC., à puiser ouvertement dans leurs pages.
Certains érudits chrétiens soutenaient que les femmes
mortelles étaient responsables de la chute des anges, tandis
que Paul, dans Corinthiens 11:10, recommandait – d'après
le Père de l'Église Tertullien (160-220 ap. JC.)
– que les femmes se couvrent la tête afin de ne pas
susciter chez les anges déchus le désir des femmes
dévoilées à la belle chevelure.
Plus remarquable encore, le fait que nombre de théologiens
éminents admettaient que les anges déchus possédaient
un corps.
De fait, ce n'est qu'avec les Pères de l'Église,
à partir du IVe siècle, que ces sujets
furent sérieusement remis en question. Selon ces derniers, les
anges déchus n'étaient en rien des êtres
de chair et de sang et toute suggestion en ce sens équivalait
à une hérésie. Cette attitude conduisit à
la suppression du Livre d'Énoch, qui passa bientôt
de mode. Le plus bizarre à ce sujet est le commentaire que fit
saint Augustin (354-430 ap. JC.), qui prétendit que cet
ouvrage pseudépigraphe ne pouvait être inclus dans le
Canon des Écritures parce que trop ancien (ob nimiam
antiquitatem).
Qu'entendait-il donc par « trop ancien » ?
Poussant
plus avant leurs efforts en vue d'éradiquer l'étrange
fascination pour les anges déchus qui avait cours chez les
premiers chrétiens, les Pères de l'Église
condamnèrent comme hérétique l'usage, dans
les livres religieux, des centaines de noms donnés aux anges
et aux anges déchus.
Le Livre d'Énoch ne fut plus copié par les
scribes chrétiens, et les exemplaires existant dans les
bibliothèques et les églises furent perdus ou détruits,
interdisant ainsi pendant plus d'un millénaire tout
accès à cet ouvrage.
Ultérieurement,
pour couronner le tout, les théologiens catholiques se
donnèrent pour politique d'extirper des enseignements de
l'Église toute allusion au fait que des anges déchus
aient été considérés précédemment
comme des êtres matériels, comme l'illustre cette
citation de la New Catholic Encyclopedia : « Au
cours du temps, la théologie a apuré les obscurités
et erreurs contenues dans les points de vue traditionnels sur les
anges (à savoir la croyance qu'ils avaient une nature
corporelle et qu'ils cohabitaient avec les femmes
mortelles). »
Mais
en quoi ces croyances pouvaient-elles faire horreur à la foi
chrétienne, quand les grands chefs de l'Église
primitive de Jérusalem avaient prêché si
ouvertement sur ce sujet hautement controversé ? Cela
n'avait pas de sens et suggérait qu'il avait dû
y avoir d'excellentes raisons pour enterrer ce courant de
pensée – car c'est exactement sous terre qu'il
avait abouti.
Les
témoignages extraordinaires recueillis par l'auteur et
présentés ici pour la première fois donnent de
solides raisons de penser que des initiés et des sociétés
secrètes ont préservé, révéré
et même célébré un savoir interdit,
concernant le fait que nos ancêtres les plus lointains tenaient
leur inspiration et leur sagesse, non de Dieu ni de l'expérience,
mais d'une race oubliée dont seuls les anges, démons,
diables, géants et esprits malins rappellent le souvenir. Que
ce point de vue contienne la moindre parcelle de vérité,
et cela nous révélerait l'un
des plus grands secrets jamais cachés à l'humanité.
Par
où commencer et dans quelle direction lancer cette quête
de l'héritage interdit de la race prétendument
déchue ? La réponse se trouvait dans la source
principale, le Livre d'Énoch : ce n'était
qu'en comprenant ses origines obscures et en absorbant son
contenu bizarre que je pouvais espérer mettre au jour le
tableau véritable de l'héritage perdu de
l'humanité.
Pour
comprendre l'importance du Livre d'Énoch, je pris
comme point de départ l'homme qui, par ses propres
moyens, avait ranimé l'intérêt du monde
savant pour cet élément perdu de la littérature
religieuse judaïque. James Bruce of Kinnaird, tel était
son nom, se mit en route en 1768 pour l'Abyssinie –
l'Éthiopie actuelle – pour y chercher quelque
chose qui n'était certainement pas, comme il le
prétendit alors, la source du Nil Bleu .
Bruce
était un noble écossais descendant directement de l'une
des plus puissantes familles de l'histoire écossaise. Il
appartenait en outre à la franc-maçonnerie écossaise,
dont les racines se rattachent au Rite de Heredom, institué au
début du Moyen Âge et intégré par la suite
dans l'Ordre Royal d'Écosse  
ce dernier était lui-même un ordre de chevalerie
militaire fondé sur l'honneur et la vaillance, créé
selon le rite des Chevaliers Templiers par Robert Bruce, l'illustre
ancêtre de James, suite à sa victoire sur les Anglais à
la bataille célèbre de Bannockburn (1314) .
James Bruce, quant à lui, était membre de la loge
Canongate Kilwinning n°2 d'Édimbourg, réputée
l'une des plus anciennes d'Écosse et dont les
sous-ordres et les enseignements mystiques s'ancrent dans les
mythes et rituels du judéo-christianisme.
La
franc-maçonnerie est une organisation aux secrets innombrables
et un homme aussi bien informé que James Bruce devait en
connaître plus d'un. Il ne pouvait ignorer, par exemple,
que la tradition maçonnique écossaise considère
le patriarche Énoch, l'arrière-grand-père
de Noé, comme l'un des fondateurs légendaires de
l'Artisanat, qui aurait donné à l'humanité
les livres et l'écriture et aussi, plus important que
tout pour les francs-maçons, l'art de la construction.
~ Les
colonnes antédiluviennes
La
franc-maçonnerie moderne, ou maçonnerie spéculative,
avait à ses débuts de nombreux liens avec Énoch.
D'après une légende 31 31 31 ,
Énoch, averti du Déluge à venir, aurait
construit avec l'aide de son fils Métoushèlah
neuf caves secrètes empilées l'une sur l'autre.
Dans la plus basse, il déposa une tablette triangulaire en or
(selon une autre version, une « pierre blanche de
porphyre oriental ») portant le Nom Ineffable, le nom
imprononçable du Dieu hébreu 
son fils une seconde tablette gravée de mots étranges
qu'il tenait des anges mêmes. Puis les caves furent
scellées et Énoch fit édifier dessus deux
colonnes indestructibles – l'une en marbre, afin qu'elle
ne puisse « jamais brûler »,
l'autre en Laterus – brique – afin qu'elle
ne puisse « s'enfoncer dans l'eau ».
Sur
la colonne de brique furent inscrites les « sept
sciences » de l'humanité, appelées
les « archives » de la maçonnerie 
sur la colonne de marbre, il « mit une inscription
disant qu'un trésor sans prix se trouvait non loin dans
une cave souterraine ».
Énoch se retira ensuite sur le mont Moriah, identifié
traditionnellement au mont du Temple de Jérusalem, d'où
il fut « transféré » vers le
ciel.
Plus
tard, le roi Salomon découvrit les caves cachées en
construisant son temple légendaire et apprit leurs secrets
divins. Le souvenir des deux colonnes d'Énoch fut
préservé par les francs-maçons qui en firent des
représentations dans leurs loges. Appelées Colonnes
Antédiluviennes ou Colonnes d'Énoch, elles furent
remplacées finalement par la représentation de deux
énormes colonnes nommées « Jachin »
et « Boaz » qui auraient encadré le
porche d'entrée du temple de Salomon 34 34 34 .
On
ignore complètement ce que représentaient les neuf
caves secrètes construites par Énoch. Peut-être
désignent-elles les neuf niveaux d'initiation mystique
contenus dans les enseignements occultes de la Kabbale et reconnus
par les communautés de la mer Morte. À moins que cette
légende évoque des salles souterraines réelles
situées quelque part en Terre Sainte et construites pour
cacher des objets sacrés ayant une importance pour le futur de
l'humanité.
Sur
ce dernier, il est dit par deux fois qu'il « marcha
avec Dieu », expression obscure accompagnée
dans le deuxième exemple par les mots : « et
il ne fut pas, car Dieu le prit ».
Quoi que l'auteur de la Genèse ait voulu dire par là,
l'interprétation retenue fut qu'Énoch
n'était pas mort à l'instar des autres
patriarches mais avait été « transféré »
au ciel par les anges de Dieu. D'après la Bible, seul le
prophète Élie fut emmené par Dieu de manière
analogue 
le nom signifie « initié ») cette place
si particulière dans la littérature judéo-chrétienne.
La mystique hébraïque affirme même qu'après
avoir été « transféré »
au ciel, Énoch fut transformé en l'ange
Métatron.
Que
signifie « transféré au ciel » ?
Nous ne sachons pas que les gens soient emportés vers le ciel
par des anges au cours de leur vie terrestre. Soit ces mots
recouvrent une métaphore, soit ils exigent un réexamen
complet. Se pourrait-il qu'Énoch ait été
simplement enlevé par des visiteurs d'un autre pays,
considérés par le reste de la communauté comme
des anges ? Et où était le ciel ? Nous savons
qu'on le considère comme un lieu situé « dans
les nuages » : cela désignait-il à la
lettre un endroit se trouvant au-delà du monde physique où
nous vivons ?
À
peine arrivé dans ce lieu nommé ciel, Énoch
semble s'être fait aussitôt des ennemis car, selon
une légende hébraïque, un ange nommé Azza
aurait été expulsé du Paradis – autre nom
du domaine céleste – pour s'être élevé
contre « le haut rang donné à Énoch »
quand il fut transformé en Métatron 37 37 37 .
Toutes
ces légendes et traditions sur Énoch montrent que le
patriarche était hautement vénéré dans la
mythologie juive en raison de ses relations avec les anges. Cela
conduisit de nombreux érudits à penser que les ouvrages
apocryphes comme le Livre d'Énoch étaient des
récits imaginaires basés sur ce fameux transfert vers
le ciel, où Énoch vit désormais en présence
de Dieu.
James
Bruce of Kinnaird était un vrai géant, « l'homme
le plus grand qu'on puisse voir dans sa vie, en tout cas sans
payer » aurait dit une femme qui le rencontra 38 38 38 .
Il parlait couramment plusieurs langues, y compris certaines langues
mortes, et notamment l'araméen, l'hébreu et
le ge'ez, la langue écrite du peuple éthiopien.
Avant d'aller en Abyssinie, Bruce était déjà
un grand voyageur qui avait visité l'Europe, l'Afrique
du nord et la Terre Sainte, explorant d'anciens monuments et
dénichant de vieux manuscrits ignorés de tous sauf de
quelques occidentaux fureteurs. Quoi qu'il ait dit à
propos du Nil Bleu, le noble Écossais semble avoir passé
une part considérable de son séjour en Éthiopie
dans les bibliothèques de monastères délabrés,
à compulser les volumes poussiéreux d'ouvrages
religieux délaissés, souvent blanchis par l'âge
et dans un état avancé de désintégration 39 39 39 .
Que
cherchait-il donc ?
Au
terme de près de deux ans de voyages permanents, Bruce arriva
au monastère ensommeillé de Gondar, sur les rives d'une
vaste mer intérieure nommée le lac Tana. Ayant
convaincu l'abbé de son honnêteté, il fut
admis dans une sombre et lugubre bibliothèque où il
trouva, et réussit à garder, un exemplaire très
rare du Kébra Nagast, le livre sacré des
Éthiopiens. Le livre racontait une relation amoureuse entre le
roi Salomon et la reine de Saba, la fondatrice légendaire du
royaume d'Abyssinie, ainsi que la naissance de leur fils
illégitime Ménélik, qui conspira avec sa mère
pour dérober la fabuleuse Arche d'Alliance du temple de
Salomon. Selon ce récit, l'Arche aurait été
emportée en Éthiopie et y serait demeurée
depuis 40 40 40 .
L'objet
des recherches de Bruce était-il en fait de trouver et
remporter en Europe un exemplaire de ce livre obscur mais très
sacré ?
Malgré
la rareté du Kébra Nagast (ou « Livre
de la splendeur des rois »), son existence était
connue depuis longtemps et les érudits occidentaux estimaient
que ses allégations extravagantes sur la reine de Saba et
l'Arche d'Alliance avaient été concoctées
en vue de donner aux chrétiens éthiopiens un lignage
ininterrompu et une identité nationale remontant à
l'époque d'Adam et Ève. Cela étant,
des témoignages décisifs donnent à penser que
l'Arche atteignit effectivement l'Éthiopie 41 41 41
(pas au temps de Salomon toutefois) et que James Bruce le savait
pertinemment et entra même en Éthiopie en 1768 dans le
but délibéré de la rapporter en
Grande-Bretagne 42 42 42 .
Le
fin mot de l'affaire était-il la recherche de l'Arche
perdue ? Bruce était-il l'Indiana Jones de son
époque ?
Peut-être.
Pourtant,
au-delà de son intérêt pour le Kébra
Nagast et pour l'Arche d'Alliance, Bruce ne pouvait
guère ignorer les rumeurs qui circulaient en Europe sur
l'existence, en Éthiopie, du Livre interdit d'Énoch.
Au début des années 1600 en effet, un moine capucin
s'était procuré au cours d'un séjour
en Éthiopie un texte religieux écrit en ge'ez
que l'on crut d'abord être un exemplaire resté
longtemps perdu de ce livre, et la découverte remua fort les
cercles académiques. Le manuscrit s'avéra
toutefois, après étude par un érudit éthiopien
en 1683, n'être pas le Livre manquant d'Énoch
mais un texte jusque là inconnu intitulé le Livre des
Mystères du Ciel et de la Terre 43 43 43 .
Nul
ne savait vraiment ce que pouvait contenir le Livre d'Énoch.
Jusque dans les années 1600, on en ignorait presque
entièrement le contenu. Mais son simple titre exerçait
tant d'attrait qu'une personne, au moins, tenta d'en
obtenir les secrets des anges eux-mêmes. Il s'agit du Dr
John Dee, astrologue, mage et savant élisabéthain qui,
aidé du soi-disant médium Edward Kelley, invoqua les
anges à l'aide de boules de cristal et autres engins de
détection. Les esprits dirent à Kelley qu'ils lui
fourniraient le contenu du Livre d'Énoch et certains
témoignages suggèrent que Dee aurait effectivement
détenu un « Livre d'Énoch »
dicté par le truchement de Kelley 44 44 44 .
On ne pense pas toutefois qu'il ait eu la moindre ressemblance
avec l'ouvrage qui porte actuellement ce nom. Dee et Kelley
développèrent, à partir de leur commerce avec
les anges, tout un langage écrit, comprenant même une
écriture ou un code « énochiens ».
Ce système complexe d'invocation magique a survécu
jusqu'à ce jour et reste en usage chez de nombreux
occultistes pour invoquer l'assistance d'une hiérarchie
complète d'êtres angéliques 45 45 45 .
La
lecture du livre d'Énoch fut pour moi une expérience
des plus troublantes et me fit maintes fois passer des frissons dans
le dos. Voilà un document qui était peut-être
l'un des plus vieux récits de l'humanité 
un document que des conteurs s'étaient transmis
oralement pendant des millénaires, et qui s'était
finalement transformé en livre après 200 av. JC.,
presque certainement à l'instigation de la communauté
essénienne de Qumrân, sur la mer Morte. Que contenait-il
qui ait pu causer une telle consternation aux rabbins juifs et à
l'Église chrétienne primitive ?
Le
Livre d'Énoch m'apparut comme un patchwork haut en
couleur, mais fort embrouillé et contradictoire, et supposant,
pour en dégager un tableau cohérent, un travail
important de démêlement. Il semble avoir été
écrit en grande partie – sur de fins feuillets en peau
– pendant ou juste après le règne d'Antiochos
Épiphane, roi syrien gouvernant la Judée à
l'époque de la révolte des Maccabées en
167 av. JC. 61 61 61
Ses 108 courts chapitres comportent indéniablement des
témoignages des batailles livrées et gagnées,
contre le souverain syrien exécré, par le mouvement
réactionnaire juif des Hassidim sadocites conduits par Judas
Maccabée 62 62 62 .
D'autres parties furent écrites peu après cette
époque et certains passages reflètent même des
temps postérieurs au début de l'ère
chrétienne.
Que
contient-il donc et qu'y trouvent d'offensant ses
détracteurs ?
Dans
les premiers chapitres, le narrateur reprend le récit de la
Genèse 6 relatif aux Fils de Dieu qui visitaient les Filles
des Hommes et prenaient femme parmi elles. On apprend ainsi que, « du
temps de Jared », 200 Veilleurs « descendirent
sur Ardis », le sommet du mont Hermon, lieu mythique
identifié aux trois cimes du Djébel esh Cheïkh
(2.800 mètres) situé dans la zone la plus
septentrionale de l'ancienne Palestine. Aux temps bibliques,
ses hauteurs enneigées étaient tenues pour sacrées
par les divers peuples de la Terre Sainte 
également le site probable où les disciples du Christ
virent leur Seigneur « transfiguré devant
eux » 63 63 63 .
Sur
cette montagne, les Veilleurs prêtent serment et se lient entre
eux par des « imprécations mutuelles »,
apparemment parfaitement conscients des enjeux de leurs actes pour
eux-mêmes et pour l'ensemble de l'humanité 64 64 64 .
Ce pacte est commémoré par le nom donné au lieu
de leur « chute » puisque le mot Hermon,
ou herem, signifie en hébreu « malédiction ».
Pourquoi les deux cents anges choisirent-ils cet endroit plutôt
qu'un autre pour gagner les basses-terres, cela n'est pas
précisé. Les voilà en tout cas qui descendent se
mêler à l'humanité, dans l'espoir de
goûter aux charmes des mortelles.
On
nous présente alors Shemyaza, le chef des Veilleurs, ainsi que
19 de ses favoris dont il est dit qu'ils sont « leurs
chefs de dizaines » 65 65 65 .
Laissons de côté pour l'instant toute question sur
l'authenticité, l'origine ou la réalité
de cette curieuse narration et poursuivons l'histoire relatée
par le Livre d'Énoch.
Après
que les Veilleurs ont trouvé des femmes et sont « venus
à elles », celles-ci donnent naissance à
d'énormes bébés Néphilim qui
deviennent en grandissant des barbares à tous points de vue.
Citons intégralement, car les mots ont de l'importance :
La
taille des Néphilim, donnée ici pour 3.000 aunes
– l'aune anglaise équivaut à 1,14
mètres– est une exagération comme en comportent
souvent les mythes juifs. Elle n'a d'autre but que
d'insister sur un point précis, qui est que ces
gibborim,
ou « hommes puissants », étaient de
haute taille et dotés d'un appétit énorme.
Plus déconcertante est l'affirmation que les Néphilim
se seraient retournés contre leurs familles mortelles et se
seraient livrés à ce qu'il faut bien appeler du
cannibalisme.
« Pécher »
contre « les oiseaux, les bêtes, les reptiles et
les poissons » pourrait indiquer que les Néphilim
en firent leur nourriture ou qu'ils eurent avec eux des
rapports sexuels contre nature, voire les deux. Ils semblent en tout
cas être devenus friands de sang, chose qui dut également
soulever d'horreur les communautés qui les avaient vu
naître et grandir.
Le
récit raconte ensuite que les Veilleurs rebelles qui
côtoyaient l'humanité révélèrent
les secrets interdits du ciel. C'est ainsi qu'un certain
chef nommé Azazel aurait « enseigné aux
hommes à faire des épées, des couteaux, des
boucliers et des plastrons, et fait connaître les métaux
(de la terre) et l'art de les travailler », ce
qui indique que les Veilleurs furent les premiers à introduire
l'usage du métal chez les hommes. Il leur apprit
également à fabriquer « bracelets »
et « ornements » et à se servir
de l' « antimoine », un métal
blanc et fragile employé en artisanat et en médecine.
Aux femmes, il enseigna l'art d' « embellir »
les paupières et l'usage de « toutes
sortes de pierres coûteuses » et de « teintures
de couleur », ce qui indique que le maquillage et le
port de bijoux était inconnu jusque-là 68 68 68 .
Les
Filles des Hommes étaient censées avoir « été
égarées » par cet acte impardonnable et
en être devenues « corrompues »,
se livrant à la fornication, non seulement avec les Veilleurs
mais aussi, faut-il croire, avec d'autres hommes que leurs
partenaires habituels. Azazel était également accusé
d'avoir enseigné aux femmes à jouir du plaisir
sexuel et à rechercher la promiscuité sexuelle –
une « impiété » aux yeux
des conteurs hébreux.
Les
linguistes pensent que les noms Azazel et Shemyaza ont probablement
la même origine et que la scission en deux anges déchus
distincts serait antérieure au Livre d'Énoch 
mais comme des légendes indépendantes leur sont
rattachées, nous traiterons chacun d'eux pour ce qui le
concerne. D'autres Veilleurs sont accusés d'avoir
révélé aux mortels des arts plus scientifiques
tels que : la connaissance des nuages, ou météorologie 
les « signes de la terre », à
savoir sans doute la géodésie et la géographie 
ainsi que l'astronomie et les « signes »,
ou le passage, des corps célestes comme le soleil et la lune.
Shemyaza aurait divulgué « les enchantements et
la cueillette des racines » 69 69 69 ,
allusion à la magie dont se défiaient les Juifs les
plus orthodoxes mais que les communautés de la mer Morte
admettaient jusqu'à un certain point. Pênêmûe,
quant à lui, enseigna « l'amer et le
sucré », allusion probable à
l'utilisation alimentaire des plantes et épices, et
apprit aux hommes à utiliser « l'encre et
le papier », ce qui suggère que les Veilleurs
introduisirent les plus anciennes formes d'écriture 70 70 70 .
Nettement
plus perturbant, Kâsdejâ aurait montré aux
« enfants des hommes tous les mauvais coups des esprits
et démons et les coups de l'embryon dans l'utérus,
en sorte qu'il trépasse » 71 71 71  
autrement dit, il apprit aux femmes à avorter. Ces lignes sur
les sciences interdites livrées aux hommes par les Veilleurs
rebelles soulèvent la question fondamentale de savoir pourquoi
les anges du ciel avaient de telles connaissances. Quel besoin
avait-ils de travailler le métal, d'utiliser charmes,
incantations et écriture, d'embellir le corps, de se
servir d'antimoine ou de savoir provoquer un avortement ?
On ne s'attend à trouver aucun de ces savoir-faire chez
les messagers célestes de Dieu 
entendu, qu'ils ne fussent humains.
Selon
moi, cette révélation d'un savoir et d'une
sagesse jusque-là inconnus s'apparente beaucoup plus à
l'action d'une race très avancée, qui
aurait transmis quelques-uns de ses secrets jalousement gardés
à une culture moins évoluée qui en était
encore à lutter pour comprendre les principes fondamentaux de
la vie. On peut esquisser une comparaison avec la façon dont
les cultures soi-disant civilisées de l'Occident ont
introduit chez les peuples indigènes des plus lointaines
régions le whisky, les vêtements, la raideur de
raisonnement et le dogmatisme religieux. À supposer qu'il
faille prendre ces textes anciens au pied de la lettre, se
pourrait-il que les choses se soient passées ainsi – à
savoir, que des membres d'une race extrêmement avancée
aient transmis leur savoir à une culture moins évoluée
encore au stade de la lutte pour la vie ?
Pour
avoir contribué à corrompre l'humanité,
les Veilleurs sont forcés d'assister au massacre de
leurs propres enfants et sont ensuite jetés dans une sorte de
prison céleste, un « abîme de feu » 74 74 74
dans lequel leur leader Shemyaza est jeté comme ses frères.
Selon d'autres versions toutefois, ce dernier subit un
châtiment plus terrible : ayant révélé
à une belle mortelle nommée Ishtahar, en échange
de la promesse de plaisirs charnels, le Nom Explicite de Dieu, il
sera suspendu à tout jamais entre ciel et terre, ligoté
et tête en bas, dans la constellation d'Orion 75 75 75 .
L'affirmation
que les Veilleurs rebelles auraient été spectateurs du
meurtre de leurs enfants suggère une forme d'infanticide :
les êtres nés de l'union entre anges déchus
et femmes mortelles auraient été rassemblés et
massacrés systématiquement sous les yeux impuissants de
leurs pères. Si cette hypothèse était correcte,
elle pourrait expliquer la peur et la répugnance qui
envahirent Lamek et Bathenosh à la naissance de leur fils Noé
apparemment semblable à un bébé Néphilim 
horreur qui tenait, non seulement à l'étrange
aspect de leur fils, mais aussi au fait que les anges restés
loyaux envers le ciel tuaient les rejetons des Veilleurs.
Après
l'incarcération de Veilleurs rebelles, Énoch est
convoqué au « ciel » par les archanges,
désignés ici, ce qui ne clarifie pas les choses, sous
le terme de Veilleurs 
part accuser les anges rebelles des crimes commis contre l'humanité.
Énoch accepte cette mission et se rend sur leur lieu de
détention. Il les trouve « tous effrayés,
et la peur et les tremblements les saisirent » 76 76 76 .
La crainte des punitions est certainement une caractéristique
humaine et non une émotion qu'on s'attendrait à
trouver chez les messagers incorporels de Dieu. Où se
trouvait, au fait, cette prison à laquelle Énoch eut si
facilement accès ? Le texte suggère qu'elle
était près des « eaux du Dan, au sud de
l'ouest de l'Hermon » 77 77 77 .
Les « eaux du Dan » désignent l'un
des tributaires du Jourdain, au nord de la Palestine. La racine du
mot hébreu dan signifie « juger »
et le chanoine R. H. Charles note, dans la traduction reconnue qu'il
fit du texte éthiopien, que le choix de cet emplacement était
dû au fait « que son nom était
représentatif du sujet traité par l'auteur, à
savoir le jugement des anges » 78 78 78 .
La localisation géographique du récit serait donc
symbolique et non réelle. Il est clair que l'auteur du
Livre d'Énoch tente de donner une assise géographique
solide à la narration et qu'il situe le lieu
d'incarcération des Veilleurs à proximité
de celui de leur descente initiale sur le mont Hermon. En d'autres
termes, les lieux cités dans le Livre d'Énoch
furent choisis, pour nombre d'entre eux, en vue de crédibiliser
les récits rapportés.
La
corruption encore présente après l'emprisonnement
des Veilleurs et la mort de leur progéniture Néphilim
sera balayée par une série de catastrophes mondiales
que conclura le Déluge bien connu de la tradition biblique 79 79 79 .
Cette destruction de masse est envisagée, dans un récit
distinct sur le destin des Néphilim 80 80 80 ,
comme une conflagration globale envoyée par les anges du ciel
sous forme de « feu, naphte et soufre » .
Seule survivra à ces cataclysmes de feu et d'eau la
« semence » de Noé, dont la
lignée produira la race humaine future .
Voici
donc comment les communautés de la mer Morte et les premiers
chrétiens comprenaient le Livre d'Énoch 
nulle part il n'est insinué que les Veilleurs rebelles
fussent des êtres de chair et de sang, il est seulement dit
qu'ils prenaient une forme physique pour coucher avec les
mortelles. Après avoir lu et relu l'histoire de la chute
des Veilleurs, il m'apparut que cette vision des événements
était sérieusement sujette à caution car des
indices convaincants donnaient à penser que les Veilleurs
rebelles – et par suite, les anges du ciel – étaient
peut-être, à l'origine, une race d'êtres
humains vivant au Moyen-Orient dans un lointain passé. Dans
cette hypothèse, le souvenir de ces événements
grandioses et horribles avait vraisemblablement subi distorsions et
mythifications au cours du temps jusqu'à devenir de
simples contes populaires moralisants, au sein d'une histoire
religieuse à lente évolution adoptée par les
Juifs aux temps bibliques.
Cette
approche était-elle valable ? Elle était à
mes yeux aussi crédible que les autres. Mais dans le cas
contraire, quelles alternatives existait-il ? Il y en avait
deux. Soit on admet que ce genre de littérature religieuse est
purement imaginaire et se fonde sur les aspirations et valeurs
psychologiques profondes d'une société craignant
Dieu. Soit on admet que les anges incorporels, non seulement existent
mais peuvent également descendre sur terre, prendre forme
humaine et s'accoupler avec des femmes mortelles, et que
celles-ci pourront ensuite donner naissance à des géants
qui deviendront en grandissant des barbares cruels comme ceux décrits
dans le Livre d'Énoch.
Quelle
est la solution la plus facile à admettre ?
Quel
est le choix qui semble le plus juste ?
À
supposer même que les Veilleurs rebelles fussent réellement
jadis des êtres humains de chair et de sang, d'où
venaient-ils, dans quel cadre temporel vivaient-ils et quel fut le
vrai destin de leur progéniture ? Périrent-ils
tous au cours du génocide orchestré par les anges
restés loyaux envers le ciel, ou dans les cataclysmes qui
culminèrent avec le Déluge ? Certains
survécurent-ils ? Le Livre d'Énoch ne
fournissait pas de réponse immédiate mais un passage
particulier du chapitre 15, relatif au sort final des Néphilim,
attira mon attention :
...
parce qu'ils sont nés des hommes (et) que des saints
veilleurs est leur commencement et origine première 
seront des esprits mauvais sur terre et on les appellera des esprits
mauvais... Et les esprits des géants (alors) affligent,
oppriment, détruisent, attaquent, livrent bataille, provoquent
la destruction sur la terre et causent des problèmes 
ils ne se nourrissent pas, [néanmoins ont faim] et soif, et
causent des offenses.
Le
texte parle d' « esprits mauvais » –
démons et diables serait peut-être plus approprié.
Si l'on suppose toutefois qu'à l'origine, il
était en fait question de « descendants par le
sang », ces lignes énigmatiques indiqueraient
alors que ceux qui avaient du sang Néphilim étaient
destinés à « affliger, opprimer,
détruire, attaquer, livrer bataille et provoquer la
destruction sur la terre ».
Ces
idées ont évidemment de quoi donner le frisson. Dans la
formulation puritaine du Livre d'Énoch toutefois, ces
âmes corrompues sont destinées à devenir les
damnés, qui ne « se nourrissent pas, [néanmoins
ont faim] et soif ». Les djinns, ces esprits malins de
la tradition islamique, sont supposés « souffrir
d'une faim dévorante et ne pouvoir manger ».
Il existe de même dans le folklore d'Europe de l'est
comme dans l'imaginaire populaire, des êtres surnaturels
qui boivent le sang mais ne « se nourrissent pas,
[néanmoins ont faim] et soif », à savoir
les nosferatu ou vampires. Quelle que soit leur réalité
en termes anthropologiques, les vampires continuent d'exister
dans le monde obscur et sinistre du roman d'horreur gothique,
lequel doit beaucoup, je m'en étais déjà
rendu compte, à la façon dont la publication initiale
du Livre d'Énoch en 1821 influença les visions
des poètes et artistes romantiques.
Peut-être
l'« esprit » de la race déchue
vit-il toujours dans l'inconscient collectif de la société
moderne. Peut-être les descendants des Néphilim, ces
rejetons hybrides des deux cents Veilleurs rebelles, sont-ils
toujours en nous et que seule nous en suggère la présence,
la certitude inquiétante que notre obscur passé recèle
des vérités cachées en train d'émerger
pour la première fois – des secrets dont quelques rares
esprits éclairés ont compris qu'ils étaient
préservés dans le Livre hérétique
d'Énoch, que le chanoine R. H. Charles décrivait
comme une « doctrine démoniaque ».
~ Les
descendants de Noé
Malgré
les éléments extraordinaires fournis par le Livre
d'Énoch sur l'histoire des Veilleurs, les
chapitres suivants semblaient n'avoir que peu de liens avec ma
recherche des origines de la race déchue. À la vérité,
on pourrait même les croire d'un autre auteur,
supposition qui se confirma quand j'eus compris que les
chapitres concernant la chute des Veilleurs, la naissance de Noé
et le Déluge provenaient tous d'un ouvrage apocalyptique
appelé le Livre de Noé, ouvrage beaucoup plus ancien
aujourd'hui perdu.
J'éviterai, afin de ne pas compliquer les choses,
d'utiliser cette appellation de Livre de Noé 
il est important de savoir que Noé, et non Énoch, fut
le narrateur originel de ce récit, car cela peut fournir une
clé pour comprendre l'intérêt que portaient
les Esséniens à cette littérature démoniaque.
En
raison de l'alliance conclue par Noé avec Dieu au moment
du Déluge, les communautés de la mer Morte virent en
lui le premier apporteur de la pluie de Dieu, le premier
faiseur-de-pluie, et elles se considérèrent comme les
descendantes directes de cette lignée faiseuse-de-pluie –
point continuellement souligné dans leur littérature
religieuse. Nombre de juifs, au cours des deux derniers siècles
avant le Christ, pensaient que les saints errants, les zaddiks
ou « justes », étaient des descendants
directs de Noé et donc capables de faire-la-pluie – en
vertu d'un pouvoir divin conféré par la
naissance.
Parmi les faiseurs-de-pluie les plus renommés de la tradition
juive figurait Onias le Juste, dit aussi Honi le Traceur-de-cercle 
le fils de sa fille, Hanan le Caché, et un autre petit-fils
nommé Abba Hilkiah furent également capables de
rééditer les faits de leur grand-père.
À
la lumière des recherches sur ces traditions, il apparaît
probable que les prêtres accomplissaient ces modifications
inexplicables du temps en se retirant de la communauté et en
traçant des cercles dans le sable. Debout au centre de ce
cercle magique, ils effectuaient une conjuration surnaturelle dont
l'efficacité ne fut jamais mise en doute .
Quand ils n'attiraient pas la pluie vers le sol, les zaddiks
menaient une existence sauvage, parcourant de grandes distances à
pied et passant de longues périodes dans les collines rudes et
farouches situées sur la rive ouest de la mer Morte, où
ils s'installaient dans des grottes et s'absorbaient dans
la méditation et la contemplation.
Mais
le plus important était le fait que ces prêtres-zaddiks
errants, qui déambulaient parmi les communautés de la
mer Morte, étaient les enseignants de la Kabbale, un savoir
secret dont la transmission est orale et individuelle .
Grands connaisseurs de la Kabbale et prétendant descendre de
Noé, ces saints errants avaient très vraisemblablement
été les premiers à répandre le récit
des Veilleurs auprès des Esséniens.
Si
cette théorie était correcte, qui donc étaient
ces zaddiks errants ? Pourquoi se considéraient-ils
comme les descendants directs de Noé ? Où et quand
avaient-ils reçu ces récits sur la chute des
Veilleurs ? Tant que je ne pourrais répondre à ces
questions, il me serait difficile d'apprécier si le
Livre d'Énoch reflétait un fait historique
authentique. Pour le moment, j'avais besoin de mieux comprendre
les racines de l'histoire des Veilleurs, comment était
survenue leur « chute » et quel en avait été
le point de départ.
Les
avis étaient partagés sur ce que représentaient
réellement, dans le récit biblique, ces Fils de Dieu
qui allaient voir les Filles des Hommes. Vers la fin du IVe
siècle, l'Église syrienne répandit un tout
nouveau texte religieux censé fournir la bonne interprétation
des lignes de la Genèse 6. Dans cette variante, les Fils de
Dieu n'étaient plus des anges ténébreux
mais les Fils de Seth, une communauté vertueuse d'hommes
et de femmes résidant en paix sur la Montagne de Dieu, au-delà
des Portes du Paradis par où avaient été
expulsés, bien des générations plus tôt,
les premiers parents de l'humanité Adam et Ève.
Parmi
les Fils de Seth vivent des patriarches antédiluviens
familiers tels que Jared, son fils Énoch, son petit-fils
Métoushèlah et son arrière-petit-fils Lamek. Une
certaine Caverne aux Trésors, où sont conservés
les restes des premiers hommes et femmes et notamment d'Adam et
Ève, renferme les Trois Dons de Dieu, cassettes contenant
l'encens, l'or et la myrrhe que doivent garder Israël
et Juda jusqu'au jour de la Nativité où ils
seront offerts au Christ. Dans cette caverne gigantesque brûle
une flamme éternelle symbolisant la lumière que Dieu
donna à Adam à son heure la plus sombre. En bas, dans
les plaines, vit un peuple plus primitif non guidé par la
justice de Dieu, qui mène une vie de péché et de
corruption. Il y a là les Filles de Caïn, ce premier fils
d'Adam qui, d'après la Genèse 4, tua son
frère Abel et fut alors maudit et « chassé »
par Dieu vers « le pays de Nod à l'est
d'Eden ».
Les
Filles de Caïn tombent facilement dans une débauche
effrénée, ce qui suscite la manifestation de Satanail,
autrement dit Satan ou le Diable. Cherchant à tirer parti de
leurs mauvaises mœurs pour égarer les Fils de Dieu,
l'archi-démon combine un plan ingénieux. Il
convainc les naïves Filles des Hommes de se farder et de se
parer de beaux bijoux et d'habits exotiques, puis les dirige
vers les Montagnes de Dieu où les Fils de Seth vivent
pieusement en présence du Très-Haut. Les femmes
essaient d'inciter ces hommes religieux à descendre afin
de les pousser à la fornication et à l'indécence 
elles se rendent dans ce but au pied de la montagne, jouent de la
musique, exécutent des danses sauvages, chantent à
tue-tête et crient aux 520 Fils de Dieu
de se joindre à elles pour de doux plaisirs. Captivés
par les voix des femmes, les hommes descendent en nombre de la
montagne sacrée et se livrent aux délices de la chair.
Seuls les plus vertueux – Jared, Énoch, Métoushèlah,
Lamek et son fils Noé – résistent à la
tentation.
La
conséquence inévitable de cette union impie est la
naissance de géants, et l'interdiction par Dieu du
retour des Fils de Seth « déchus » vers
leurs hautes retraites près de la Caverne aux Trésors.
Puis, comme dans les traditions énochienne et biblique, le
Très-Haut déchaîne tempête et déluge
afin de purger le monde de sa perversité et de sa corruption.
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