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256-bit encryption Exp 8 juillet 2020 |
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« MEDIUM
est la plus grande découverte faite depuis la création
du monde ».
Philip-José
Farmer
La
Machine
pour
parler
avec
l'Au-delà
UN EXORCISME, RITUEL
TROIS
traduit de l'américain
par Alain Garsault
Le
jardin des Livres
Paris
Vous pouvez envoyer les
premiers chapitres de ce livre ( word, star-office, pdf, html,
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Openoffice
« La Machine
à parler avec l'Au-delà »
sous
le titre L'homme qui trahit la vie
© 2005 Ralph
Vicinanza Ltd.
© 2006 Le jardin
des Livres®
pour la traduction
française
Tableau de couverture :
Glenn Brown
Centre G. Pompidou RMN -
2006
14 rue de Naples, Paris 75008
tel : 01 44 09 08 78
Service Presse : Marie Guillard
www.lejardindeslivres.fr
( plus
de 1400 pages à lire
ISBN
2-914569-23-8 EAN 9782-914569-231
Toute
reproduction, même partielle par quelque procédé
que ce soit, est interdite sans autorisation préalable. Une
copie par Xérographie, photographie, support magnétique,
électronique ou autre constitue une contrefaçon
passible des peines prévues par la loi du 11 mars 1957 et du 3
juillet 1995, sur la protection des droits d'auteur.
- Le
sénateur demandait d'étendre l'usage de MEDIUM à
l'homme de la rue et lui permettre de dialoguer avec ses chers
disparus. Jusqu'à présent, on avait réservé
aux riches la plus grande découverte faite depuis la création
du monde. C'était un scandale !
~
1 ~
Gordon
Carfax gémit.
Il
s'assit dans son lit et, de la main, chercha Frances.
L'aube
teintait déjà les persiennes de gris.
Frances
était partie avec la nuit.
Un
coq avait chanté, il en aurait juré. Pourtant, on
n'entendait que l'aboiement des chiens du voisinage. Il tenta de
trouver une explication : la veille au soir, il avait lu trop
longtemps et, comme pour Hamlet, un fantôme... Sa raison eut
tôt fait de balayer cette hypothèse ridicule.
Brassé
par un tourbillon mystérieux, les ténèbres
s'étaient agglutinées en une forme humaine. Un
ectoplasme s'était matérialisé devant ses yeux
hagards.
Frances !
Les
bras tendus dans sa direction, elle avait glissé vers lui à
pas lents et silencieux. Belle, telle qu'elle était restée
dans son souvenir. Et elle avait souri. Un sourire qui trahissait la
colère mêlée à une souffrance
indéfinissable.
- Frances,
avait-il murmuré, Frances, si seulement j'avais...
C'est
alors qu'au tréfonds de son cerveau, un coq avait chanté.
L'hallucination auditive avait chassé l'hallucination
visuelle. Frances lui avait paru se dissiper en petits nuages gris.
Carfax
se rallongea en poussant un profond soupir. Sa respiration revenait
peu à peu à peu à un rythme normal.
Il
reprenait contact avec la réalité.
Mais
les rêves n'appartiennent-ils pas à la réalité ?
Et
les morts ne reviennent-ils qu'en rêve ?
Raymond
Western affirmait le contraire. Non, il fallait rendre à
César, en l'occurrence à Western, ce qui lui
appartenait. Western ne prétendait pas que les morts
revenaient parmi les vivants, il proclamait qu'on pouvait localiser
l'esprit des défunts et entrer en communication avec eux. Pour
appuyer ses dires, il possédait un monstre de métal qui
bourdonnait dans sa demeure de Los Angeles. MEDIUM.
Carfax
n'était pas le seul être humain à rêver aux
morts. Toute l'humanité faisait comme lui. Rêves
agréables, tourmentés ou horribles à l'image de
la vie consciente.
Que
MEDIUM permît de parler avec des... choses, des êtres, il
était impossible d'en douter. Mais qui étaient ces
êtres ? Un grand nombre d'hommes avaient accepté la
théorie de Western et considéraient ces êtres
comme des esprits.
Carfax,
de son côté, avait émis une autre hypothèse.
En songeant au tollé qu'il avait soulevé, il regrettait
parfois de ne pas avoir gardé le silence. Le monde entier
avait maintenant les yeux fixés sur lui. En outre, il risquait
d'être impliqué dans une affaire de meurtre, ou plutôt
dans ses retombées.
Il
ferma les yeux dans l'espoir de retrouver le sommeil. S'il dormait,
il souhaitait ne pas rêver  
souhaitait faire un rêve agréable. Car, en dépit
de l'amour qu'il avait cru éprouver pour Frances, son
apparition nocturne l'avait terrorisé.
~
2 ~
UN
PROFESSEUR AFFIRME :
« ESPRIT ?
NON. MONSTRES DE
SCIENCE-FICTION ?
OUI. »
Carfax
dut se forcer pour lire l'article qui suivait ce titre puis, dégoûté,
il jeta le journal sur les autres feuilles jonchant le plancher.
Qu'attendre
d'autre du National Questioner ?
Et
pourtant, se dit-il en prenant le New York Times sur la pile
posée à côté de son fauteuil, sur une
table, l'article dit vrai, dans l'ensemble.
Le
professeur occupait la une de tous les journaux. Même le Times
lui consacrait sa première page. Avant l'affaire MEDIUM, son
nom, au cas fort improbable où un quotidien l'aurait
mentionné, aurait été relégué à
la rubrique des chiens écrasés, dans le corps du
numéro.
« On
ne saurait nier que nous sommes en contact avec un autre monde, un
autre univers pour être précis », déclare
Gordan Carfax, professeur d'histoire à l'université
Traybeil de Busiris, Illinois. « Mais, pour expliquer
le phénomène, il me paraît inutile d'avoir
recours au surnaturel. Le rasoir d'Occam permet... »
Le
National Questioner avait expliqué ce qu'était
« le rasoir d'Occam », car son rédacteur
en chef avait supposé, à juste titre d'ailleurs, que
ses lecteurs croiraient qu'il s'agissait d'un instrument propre à
la coiffure.
Le
New York Times, de son côté, n'avait pas pris
cette peine, laissant son lecteur se reporter au dictionnaire s'il le
jugeait nécessaire. Mais le journal avait lui aussi employé
le mot « science-fiction » pour
qualifier l'hypothèse de Carfax.
Malgré
son exaspération, le professeur devait admettre que le
rapprochement était inévitable et la tentation trop
forte pour que les journalistes puissent y résister. Dès
que l'on mentionnait la « cinquième dimension »
- ramenée pour raison de clarté à la
« quatrième » par le National
Questioner - l'on évoquait dans l'esprit des lecteurs
la science-fiction. Et si l'on continuait en parlant d'« univers
polarisés », de « mondes
parallèles au nôtre »,
d'« extraterrestres intelligents animés
d'intentions hostiles envers notre planète »,
l'on pouvait parier à coup sûr que les journalistes
emploieraient le terme « science-fiction ».
L'on pouvait également parier que l'on offrait une arme
redoutable à l'adversaire.
Cependant,
le magazine Times lui-même avait réfréné
sa tendance à sacrifier la vérité aux mots
d'esprit et aux sarcasmes. En conclusion d'une série
d'articles destinés à pourfendre l'invention de
Western, le Times avait reconnu que ce dernier n'avait
peut-être pas tort. Peu après la publication de cette
étude, Carfax exposait publiquement sa théorie. Comme
le magazine désirait présenter à ses lecteurs
une explication de MEDIUM qui ne soit pas fondée sur le
surnaturel, il avait soutenu Carfax pour mieux attaquer Western.
Au
cours de sa conférence, Carfax avait reconnu sa dette envers
la science-fiction. Mais, avait-il affirmé, sa théorie
ne relevait pas plus de cette branche de la littérature que,
disons, la télévision ou la conquête de l'espace.
C'étaient des hommes qui avaient créé l'une et
mené l'autre à bien, et non des livres et des revues.
Et il avait recommandé aux scientifiques d'envisager toutes
les hypothèses possibles pour expliquer la nature des êtres
avec lesquels MEDIUM était entré en contact.
Parmi
toutes ces hypothèses, il en était une, très
simple, qui se présentait immédiatement à la
raison : les prétendus esprits étaient en réalité
les habitants non humains d'un monde situé dans le même
espace que le nôtre mais placé perpendiculairement à
lui. Pour quelque motif suspect, ces entités se faisaient
passer pour des humains décédés. Mais ces
entités connaissaient parfaitement les personnes qu'elles
étaient censées incarner.
Le
professeur reposa le Times et ouvrit le Busiris Journal
Star, le quotidien local du matin. Un article résumait
pour la énième fois sa conférence et
l'« émeute » qui l'avait suivie.
En fait d'émeute, six hommes s'étaient battus à
coups de poing après qu'une femme eut assommé l'un des
assistants avec un sac à main aussi vaste que pesant.
C'était
la conférence qui avait déclenché le scandale.
Carfax l'avait prononcée en clôture de la série
de conférences annuelles données dans le cadre de la
Fondation Roberta J. Blue. Le règlement de la Fondation
stipulait que la dernière conférence devait être
faite par un professeur de l'université Traybell et qu'elle
devait porter sur un sujet étranger à ses propres
recherches.
En
d'autres circonstances, Carfax aurait refusé cette corvée
qui, de plus, tombait un jeudi soir, quatre jours avant les examens
de fin d'année. Mais cette fois, il s'était porté
volontaire 
cet honneur en usant de ses relations personnelles avec le doyen, un
habitué des pokers du mercredi soir.
Persuadé
qu'il était de détenir une explication simple et
rationnelle des découvertes de Western, il avait tenu à
en faire part au public. Il avait donc informé de la teneur de
son intervention les représentants de la presse et de la
télévision locales. Sa déclaration n'aurait eu
qu'un faible écho, ainsi qu'il le prévoyait, si le
directeur de la station de télévision n'avait averti le
Chicago Tribune. Si bien qu'à son entrée dans la
salle de conférences, au lieu de la cinquantaine d'étudiants
et d'universitaires qui composait le public ordinaire de ces soirées,
Carfax se trouva face à 500 personnes, plus
4 journalistes et une équipe de télévision
venue spécialement de Chicago. Un reporter du Tribune
ayant découvert que Gordon était le cousin germain de
Western, la presse fit de cette nouvelle ses choux gras et monta ce
détail en épingle en présentant l'affaire comme
une querelle de famille.
Carfax
eut beau répéter qu'il n'avait jamais rencontré
son cousin, rien n'y fit.
La
conférence même fut ponctuée à part égale
par les acclamations et par les huées, au grand dam du
conférencier. Quand il eut terminé, il entama la
discussion. La première question, qui devait être aussi
la dernière à cause de la tournure prise par les
événements, fut posée par Mrs. Knowlton, une
grande femme maigre, d'âge moyen, qui possédait une voix
de stentor. C'était la soeur du directeur du Journal Star.
Comme elle venait de perdre son mari, sa fille et sa petite-fille
dans un accident de navigation, elle tenait désespérément
à croire en leur survie. Cependant, loin de s'abandonner à
l'émotion, elle formula des question pertinentes auxquelles le
professeur s'efforça de répondre le mieux possible.
- Professeur
Carfax, en parlant de la découverte de MEDIUM, vous utilisez
toujours le mot « théorie ». Or il ne
s'agit plus d'une théorie aujourd'hui mais d'un fait avéré.
MEDIUM fonctionne exactement comme le dit Mr. Western. Quand ils ont
ouvert une enquête à son sujet, certains des meilleurs
esprits des États-Unis le considérait peut-être
comme un charlatan. Maintenant, ils lui donnent entièrement
raison. Alors, je vous le demande, monsieur le professeur : qui
de vous deux est un charlatan ? Vous proposez aux scientifiques
d'utiliser le rasoir d'Occam, eh bien moi, je vous suggère de
l'employer vous-même.
- Coupe-toi
la gorge avec, brailla un grand étudiant échevelé.
Comme
il regardait dans sa direction, Carfax en conclut qu'il s'adressait à
lui, et non à Mrs. Knowlton.
La
voix de cette dernière domina le tohu-bohu :
- D'après
vous monsieur le professeur, ceux qui croient en Western sont guidés
par des motivations personnelles et irrationnelles. Mais vous-même,
lorsque vous vous déchaînez contre nous alors que les
faits penchent en notre faveur, ne vous laissez-vous pas aveugler par
la passion ?
L'objection
irrita Carfax : elle l'avait touché au vif. Loin d'être
fondée sur des considérations objectives, sa propre
théorie était née d'une intuition. Les
intuitions amènent souvent à formuler des hypothèses
qui engendrent à leur tour des théories que les faits
viennent plus tard confirmer. Mais allez donc expliquer cela à
une foule déchaînée !
Le
professeur allait quand même ouvrir la bouche quand un homme
bondit en hurlant :
- Carfax
nous hait ! Il veut nous priver de la plus grande découverte
faite depuis la création du monde !
Pour
cette formule de Western devenue célèbre, Carfax tenait
une réponse toute prête. Il n'eut pas le temps de la
lancer. Une femme se jeta sur son interlocuteur et lui assena un
grand coup de sac à main. L'homme s'écroula
sur-le-champ. Un journaliste ramassa le sac et, avant de le rendre à
sa propriétaire lorsqu'elle sortit de prison, il le pesa :
il atteignait cinq kilos.
L'arrivée
de la police mit un terme à la mêlée, mais elle
n'arrêta pas le vent de folie né de cette conférence.
Du jour au lendemain, Carfax devint célèbre. Rançon
de la gloire, il reçut des appels téléphoniques
et vidéophoniques des quatre coins du pays. Deux seulement
retinrent son attention 
Par le premier, Western lui-même
lui proposait de se rendre en avion en Californie pour assister à
une séance gratuite de MEDIUM. Le second fut donné par
Patricia Carfax. La fille de Rufton, l'oncle de Western et de Gordon.
Bien
que sa voix trahît une certaine hystérie, la jeune fille
paraissait sincère et maîtresse d'elle-même 
elle affirmait que Western avait assassiné son père
pour lui voler les plans de MEDIUM
~
3 ~
Assis
dans une chaise longue sur sa véranda vitrée, Gordon
Carfax contemplait son jardin tout en savourant son café, un
mélange spécial de six plants en provenance d'Amérique
du Sud qu'il confectionnait lui-même tous les quinze jours. Une
bande de minuscules roitelets voletait autour de l'abri accroché
au grand sycomore, le plumage d'un oiseau cardinal rutilait sur le
bord d'une piscine blanche miniature.
Le
professeur s'était plus d'une fois senti seul dans cette
demeure aussi paisible que confortable. C'était une bâtisse
de bois préfabriquée, typique de la moyenne
bourgeoisie, construite dans la banlieue typique d'une ville de
moyenne importance, et typique de l'État d'Illinois. Il
l'avait achetée peu après
avoir été engagé par l'université
Traybell. Elle avait besoin de quelques réparations et d'un
nouvel aménagement intérieur. Il avait terminé
les unes et n'avait pas encore entamé l'autre lorsqu'il
s'était marié avec la secrétaire de la doyenne
de l'université. Frances avait quitté son poste avec
joie et s'était consacrée à la décoration
de la maison selon son goût, qui était exquis.
Sa
tâche tirait à sa fin et elle envisageait déjà
d'autres projets quand l'accident s'était produit...
C'était
par une belle soirée d'été. Gordon ayant
constaté qu'il ne lui restait plus de cigarettes, sa femme, au
lieu de lui faire remarquer comme d'habitude qu'elle souhaitait le
voir cesser de fumer, s'était proposée pour aller lui
en acheter. Elle en profiterait pour se choisir un roman policier,
avait-elle ajouté. Sur le moment, le projet avait irrité
Gordon : la maison regorgeait de livres de toutes sortes, depuis
les plus sévères classiques jusqu'aux policiers les
plus légers. Frances ne les avait sûrement pas tous lus.
Il
n'avait pu s'empêcher d'exprimer à voix haute son
irritation. Frances lui avait rétorqué que ces
livres-là ne lui plaisaient pas. Et elle l'avait invité
à l'accompagner avec une phrase ironique : pour une fois
qu'il sortirait le nez de ses bouquins !
Justement,
lui avait-il répondu avec une parfaite mauvaise foi qui
provenait peut-être d'un sentiment de culpabilité,
justement, il était en train de préparer le cours qu'il
devait donner le lendemain sur l'Angleterre au Moyen-Âge. Elle
osait lui reprocher de ne pas lui parler ? Avait-elle déjà
oublié que, la veille au soir, il l'avait emmenée au
cinéma et qu'ensuite, il l'avait invitée à
prendre un verre à la tête de l'Ours d'Or ?
Frances
avait claqué la porte derrière elle avec une violence
qui avait d'abord surpris son mari. Par là, il dut reconnaître
que sa colère se comprenait : la veille, au cours de la
fameuse sortie, ils n'avaient pas échangé un mot durant
le film et, à la taverne, le hasard avait voulu qu'ils
rencontrent le directeur du département d'anglais de
l'université et sa femme.
Quelques
minutes seulement après son départ, Frances était
morte.
Alors
que la vitesse à ce carrefour était limitée à 30
km/h, une grosse voiture, conduite par un homme d'âge mur,
avait brûlé un stop à 50 km/h et embouti de plein
fouet leur petite voiture allemande.
On
avait enterré Frances. On avait placé en observation
l'autre conducteur qui souffrait d'une légère blessure
à la tête. Il s'appelait Lincks. Il était très
riche. Il avait le bras long. La police lui avait dressé une
contravention pour avoir brûlé un stop. Comme excuse,
Lincks avait avancé que le feuillage touffu d'un arbre
dissimulait le panneau de limitation de vitesse.
Excuse
valable pour un étranger au pays : la ville ne taillait
pas souvent les arbres et le stop n'était guère
visible. Mais Lincks n'était pas un étranger 
empruntait fréquemment cette route. L'accident avait eu un
témoin, un gamin de 17 ans. Par malchance, ce soir-là,
il était ivre 
Enfin, deux fois déjà, il avait fait l'objet de
poursuites pour vol de voiture. Et la seconde fois, il s'agissait
d'une voiture appartenant à Lincks. Personne donc ne l'avait
cru lorsqu'il avait affirmé que Lincks roulait trop vite.
*
*
*
Deux
semaines auparavant, Lincks s'était offert un tête-à-tête
de trois heures avec MEDIUM. Interrogé à son retour par
Mrs. Knowlton du Journal Star, il avait déclaré
que Western et son invention avaient fait sur lui une impression tout
à fait favorable. Il s'était effectivement entretenu
avec sa chère épouse et n'attendait plus maintenant que
le moment de la rejoindre dans l'« Inconnu ».
La défunte ne lui avait guère donné de détails
sur la vie dans l'autre monde. Lincks désirait avant tout
savoir si elle était heureuse. Il souhaitait se retrouver au
plus vite à ses côtés, dans le sein du Seigneur.
En attendant, pour la réconforter, il lui avait longuement
décrit ( à raison de 5.000 dollars par
demi-heure ) la prospérité de son affaire de
voitures d'occasion.
La
conversation proprement dite n'avait duré que 30 minutes
environ, mais la localisation de sa femme avait exigé deux
heures et il avait fallu une demi-heure pour contrôler son
identité, bien que Lincks ait été persuadé
dès le début qu'il parlait à sa femme. Le
gouvernement exigeait une demi-heure de contrôle d'identité
pour chaque séance payante. Même les morts souffraient
de l'ingérence de l'État dans les affaires privées,
s'était plaint Lincks.
Malgré
le frein mis ainsi au développement de la libre entreprise,
MEDIUM révélait « l'erreur des athées
et incroyants qui tiennent Western pour un charlatan, et confirme les
vérités éternelles de la Bible ».
Lincks
n'avait négligé qu'un détail : la plupart
des chrétiens refusaient d'admettre, faute de preuves, que
MEDIUM permettait de communiquer avec les morts.
A
la lecture de l'interview, une crise de colère avait secoué
Carfax. Bondissant sur le vidéophone, il avait appelé
le bureau principal de Lincks, service A 1 de la Société
Robert ( Bob ) Lincks, Voitures d'occasion, avec toutes
facilités de paiement.
- Pourquoi
n'êtes-vous pas rentré en communication avec ma femme
pour lui demander pardon ?
L'autre
s'était étranglé.
- Si
elle avait conduit une bonne grosse bagnole américaine, au
lieu de ce tas de ferraille germanique, elle serait encore en vie.
Et
il avait raccroché.
Carfax
s'était senti gêné sans comprendre la raison de
sa gêne.
Les
yeux fixés sur son jardin, il pensait de nouveau à
Frances. Si ce soir-là, il avait accepté de
l'accompagner elle serait encore vivante. Il aurait insisté
pour finir son chapitre 
peu plus tard et ce vieux salaud plein aux as aurait traversé
le carrefour sans heurter personne.
Carfax
s'interrogea : craignait-il de retrouver sa femme comme son rêve
le laissait entendre ? Redoutait-il ses reproches ? Le
refus de croire en la théorie de Western provenait-il d'un
sentiment de culpabilité ?
Il
se leva pour aller porter sa tasse à la cuisine dont la
peinture n'avait que trois semaines. La pendule murale indiquait
9:05. Patricia devait le rappeler à 11 heures, heure de
l'Illinois. D'une cabine publique, comme la première fois,
mais d'une cabine équipée d'un vidéophone. Il
désirait voir le visage de son interlocutrice et s'assurer
qu'il s'agissait bien de sa cousine. Les dernières photos
d'elle qui figuraient dans l'album de famille la montraient à
12 ans, mais Carfax supposait qu'elle n'avait pas beaucoup
changé depuis.
C'est
lui qui avait insisté pour qu'elle utilise un vidéophone.
Il se méfiait de Western : ce dernier aurait pu inventer
une combine pour le discréditer définitivement. Malgré
le tapage fait autour de lui, Western gardait tout son mystère.
Personne n'ignorait les faits saillants de sa biographie, mais les
journalistes les plus perspicaces avaient eux aussi échoué
à cerner sa personnalité.
Au
vidéophone, il avait séduit Carfax. Ses yeux bleu
foncé, son nez presque aquilin, tout son visage respirait la
force et la franchise. En outre, il avait une belle voix profonde et
chaleureuse. Le professeur n'était pas homme à se
laisser abuser par les apparences et leur antagonisme l'inclinait à
la réserve. Cependant, à la fin de la conversation, il
s'était demandé s'il n'avait pas mal jugé son
interlocuteur, et il s'était résolu à faire
preuve d'une plus grande objectivité envers lui.
Le
charme dissipé, il s'était de nouveau senti convaincu
que la franchise apparente de Western dissimulait quelque chose.
Western,
non content de l'inviter à une séance gratuite pour le
jour et l'heure de son choix, lui avait en plus offert le voyage
aller-retour en avion. Carfax avait promis de donner sa réponse
avant le prochain samedi.
La
générosité de son adversaire le laissait
perplexe. Western marchait à la gloire en triomphant de tous
les obstacles. Il comptait maintenant plus d'amis que d'ennemis.
Pourquoi la théorie d'un obscur professeur d'histoire lui
causait-elle tant d'embarras ? En quoi Carfax le gênait-il ?
Western était-il au courant de l'appel de Patricia ?
Voulait-il par avance déconsidérer celle-ci ?
Quoi
qu'il en soit, le professeur n'avait jamais eu l'intention de refuser
l'offre de son cousin. MEDIUM l'intriguait trop. Comme il n'aurait
jamais les moyens de se payer une séance de trois heures, il
entendait bien profiter de l'occasion. Mais il préférerait
attendre le second appel de Patricia avant d'annoncer sa décision
car il ne voulait pas trahir sa curiosité. Pour être
complètement honnête, il devait aussi reconnaître
qu'il tardait parce que la seule idée d'un tête-à-tête
avec MEDIUM le terrorisait.
Il
en était là de ses réflexions quand il entendit
une voiture s'arrêter devant sa maison. Une portière
claqua 
Gordon
se leva en faisant une grimace. Depuis la fameuse conférence,
il était assailli par les importuns. Il avait eu beau changer
son numéro de vidéophone pour un numéro en liste
rouge, et accrocher une pancarte à sa porte : NE PAS
DÉRANGER. ECRIVEZ SI VOUS LE DÉSIREZ, la plupart des
gens continuaient de l'accabler.
En
ouvrant le judas, il se rappela que l'un de ses amis, un détective
privé qui avait travaillé avec lui autrefois, avait
reçu un jet d'acide nitrique en collant l'oeil à
un trou de serrure. Il se rassura aussitôt en pensant que ses
lunettes constitueraient un écran protecteur.
Je
deviens de plus en plus paranoïaque, se dit-il en hochant la
tête. Le sourire aux lèvres, il appliqua son oeil
au judas. La visiteuse avait environ trente ans. Des cheveux roux
foncé, un joli visage malgré un nez un peu long et les
parenthèses qui encadraient la bouche. Une robe blanche toute
froissée dissimulait un corps aux courbes harmonieuses. Elle
frise naturellement, se dit le professeur. Et il comprit soudain
pourquoi il était sûr de ce détail : il
avait déjà vu cette jeune femme, mais pas en chair et
en os.
Il
ouvrit la porte et aperçut deux valises aux pieds de la
visiteuse.
- Vous
deviez m'appeler d'abord, dit-il. Mais ça ne fait rien.
Entrez.
~
4 ~
Patricia
Carfax ressemblait à sa mère, en plus jeune. Elle avait
les cheveux plus clairs, le nez plus long, les yeux d'un bleu plus
profond et des jambes encore plus élancées. En outre,
sa mère n'avait jamais arboré cette expression
accablée.
Carfax
se pencha pour prendre les valises.
- Quand
nous serons entrés, dit la visiteuse à voix très
basse, il serait plus prudent de mettre la radio. Il y a peut-être
des micros chez vous.
- Oh ?
fit Carfax sur un ton interrogateur. Il prit les valises et suivit la
jeune femme dans la maison 
les bagages, il plaça cinq disques de Beethoven sur la chaîne.
Tandis qu'éclataient les accents martiaux de la Symphonie
héroïque, il indiqua la véranda de la main.
Beethoven fournissait un arrière fond sublime pour leur
tête-à-tête et un brouillage efficace contre les
espions éventuels.
- Je
vais vous chercher du café. Lait et sucre ?
- Non,
merci, noir. Je suis une puriste.
A
son retour de la cuisine, il posa deux tasses de café noir sur
une petite table devant le fauteuil de Patricia et rapprocha son
propre fauteuil.
- On
vous suit ?
- A
ma connaissance il n'y avait personne dans l'avion, enfin, personne
pour me filer. Sinon, il aurait agi avant que je n'arrive ici.
- Il ?
Pourquoi « il » ?
- Vous
avez raison : on aurait pu envoyer une femme. Mais je croyais
que seuls les hommes embrassaient la profession de tueur.
- Votre
présence chez moi prouve que l'on n'avait pas l'intention de
vous abattre. Il est très facile de tuer quelqu'un, de nuit
comme de jour, dans la rue ou au milieu de la foule.
Patricia
se rencogna dans son fauteuil et son corps parut se liquéfier.
- Je
suis sûr que vous mourez de faim, reprit Carfax. Que
diriez-vous d'un plat d'oeufs au bacon ?
- Vous
avez raison : je meurs de faim et je suis complètement
épuisée. - Elle se redressa 
reprendre quelque consistance - Mais je ne pourrai pas me
reposer avant de vous avoir tout raconté.
Le
professeur était hypnotisé par la poitrine de la jeune
femme. Elle surprit son regard, baissa les yeux, les releva, le vit
qui souriait et elle éclata de rire. Un rire grêle. La
tasse de café dansa dans sa main. Carfax vit apparaître
le blanc de ses yeux. Elle réussit néanmoins à
boire sans renverser une goutte de liquide et à reposer la
tasse en faisant le moins de bruit possible.
- Sans
doute ai-je été trop précautionneuse. Je n'ai
pas eu le courage de vous appeler pour vous annoncer ma venue. Mais
j'ai réfléchi après mon coup de téléphone
et j'ai craint que Western ne fasse surveiller votre ligne et
n'espionne votre maison.
- Pourquoi ?
- Parce
que je l'avais prévenu que je vous contacterais. Je n'aurais
pas dû, je m'en rends compte maintenant. J'ai agi sur un coup
de tête. Je savais seulement que vous étiez mon cousin
et que vous aviez exercé le métier de détective
autrefois. J'ai tiré votre nom au hasard mais je vous
expliquerai.
A
la vérité, je voulais fuir Los Angeles, et vous parler
face à face. Le vidéophone est trop impersonnel. Et le
manque de contact me déprimait. J'en avais assez de me cacher
et de ne pouvoir me confier à personne. Je savais qu'un homme
faisait le pied de grue devant l'immeuble situé au bout de la
rue où était mon motel...
- A
Los Angeles ?
- Oui.
J'avais déménagé pour me rapprocher de Western.
Pas dans ce motel. J'avais d'abord loué un appartement à
côté de Beverley Hills, mais je l'ai quitté dès
que j'ai appris que Western me recherchait. Le bail n'était
pas encore signé, mais j'avais déjà versé
trois mois d'avance... J'ai encore déménagé deux
fois depuis. J'ai laissé ma voiture chez un ami dans la
Vallée1
pour que Western ne puisse pas me retrouver et je ne l'ai jamais
récupérée. J'avais peur qu'il n'ait laissé
un homme de garde.
- Mais
il faut de l'argent pour laisser un homme de garde pendant un mois.
- Oh,
Western en a ! Il est riche, multimillionnaire ! Cet argent
me revient en fait et il veut me tuer ! Comme il a tué
mon père.
- Je
dois me montrer objectif, vous comprenez. Je ne peux accepter votre
seule parole. Vous ne vous offenserez pas de mes questions.
- Promis.
Je sais que je dois prouver mes allégations.
- Il
suffira que vous me donniez de bonnes raisons de soupçonner
Western car je ne pense pas que vous possédiez des preuves.
- Vous
avez raison.
Patricia
se redressa encore un peu et sourit avant de reprendre :
- Parfaitement
raison. Pour satisfaire votre curiosité je vous expliquerai
d'abord pourquoi je n'ai pas fait part de mes soupçons à
la police. D'ailleurs, ce sont des faits et non des soupçons.
Mais la police, elle, aurait exigé des preuves, et rien de ce
que j'aurais pu dire n'aurait suffi à un tribunal. Je n'avais
pas même assez de preuves matérielles pour entraîner
un interrogatoire. De plus, Western est si célèbre
maintenant et si puissant que la police n'agirait pas, à moins
d'être sûre de le prendre la main dans le sac.
- J'en
doute. On l'arrêterait à contrecoeur mais on
l'arrêterait avec des preuves suffisantes.
- Si
je prévenais la police, Western connaîtrait aussitôt
mon adresse. Après ce va-et-vient, je suis allée voir
mon avocat et je lui ai expliqué toute l'affaire. Il m'a dit
que je m'avais aucune chance de réussir, puis il m'a demande
mon numéro de téléphone, pour me rappeler,
a-t-il dit, au cas ou il changerait d'avis. Je vous remercie, ai-je
répondu, mais je vous donnerai mon numéro quand je vous
engagerai.
Et
je suis partie, j'ai pris un taxi et je me suis fait conduire droit à
mon motel. Là, j'ai commis une erreur. Je crois qu'il m'a fait
suivre...
- Qui ?
- L'avocat.
- Son
nom ?
- Roger
Hampton. De Hampton Thoburn, Roxton et Row.
- Leur
étude a une excellente réputation. Pourquoi Hampton
vous aurait-il fait filer ?
- Il
m'a prise pour une folle capable de le tuer afin de me venger de
Western. Il faut dire que dans son bureau, je me suis montrée
très violente. Je suis sûre qu'il a appelé
Western pour lui donner mon adresse.
- Il
avait refusé votre affaire mais vos déclarations
étaient couvertes par le secret professionnel.
- Il
a pu imaginer qu'une maniaque menaçait Western et donner mon
adresse sans parler de notre conversation.
- Ou
encore, il est étranger à toute cette affaire. On vous
suivait peut-être, si l'on vous suit, avant votre visite chez
Hampton.
- Si
l'on me suit. Mais je sais qu'on me suit. J'ai vu un homme qui me
filait aller me demander à la réception. Après
son départ, j'ai interrogé le réceptionniste.
L'homme l'avait interrogé sur moi.
Carfax
se frotta les mains.
- Continuez.
- En
un quart d'heure, j'avais fait mes bagages. J'ai sauté dans un
taxi et je me suis fait conduire à un restaurant de Sherman
Oaks. Là, j'en ai pris un autre pour Tarzana où j'ai
loué une voiture, cash, et j'ai filé par la route chez
des amis, à Carmel2.
Je pensais que Western ignorait leur existence. Au moment où
je descendais une forte pente sur la Pacific One...
- Je
sais...
- J'ai
failli me tuer ! Les freins ont lâché ! J'ai
dévalé la pente en zigzags, et si je n'ai pas embouti
de voiture venant en sens inverse, c'est qu'il n'en est pas passé.
J'ai réussi à prendre le dernier virage de la côte
en bas, je suis sortie de la route, un pneu a explosé et la
voiture s'est retournée. Je m'en suis tirée sans une
égratignure mais quelle frousse ! La voiture était
inutilisable. Un véhicule de patrouille m'a ramenée au
restaurant où j'avais déjeuné. Il y avait une
mare de liquide pour les freins à l'endroit où je
m'étais garée. Je refusai qu'on m'examine. J'avais
juste besoin d'un remontant.
« Un
policier est venu m'expliquer qu'on avait trafiqué le
cylindre. Ce que je savais. On l'avait trafiqué sur le
parking. Les freins fonctionnaient parfaitement à mon arrivée
et je m'en étais servi en sortant car il m'y avait pas de
circulation. Je n'avais appuyé sur la pédale que dans
la descente au moment où il était déjà
trop tard.
- A
part Western, qui pouvait vouloir se débarrasser de vous ?
- Personne.
Un
bon point pour vous, songea Carfax.
- Racontez-moi
tout depuis le commencement sinon nous allons mous emmêler. Je
vous poserai ensuite les questions que je jugerai nécessaires.
- Très
bien. Mon père, comme vous le savez, enseignait la physique à
l'université de Big Sur en Californie.
- Je
l'ai appris par le journal. D'ailleurs, je ne sais de cette affaire
que ce qu'en a dit le New York Times. Le quotidien local l'a
tout juste mentionnée.
- Avant
d'aller à Big Sur, il avait professé à l'UCLA3.
Sans doute travaillait-il déjà à MEDIUM ?
Chez nous, il passait des heures penché sur des équations,
des schémas, des diagrammes, des maquettes que j'apercevais
lorsqu'il m'arrivait d'entrer dans son bureau. Un jour, je lui ai
demandé ce qu'il faisait 
qu'il travaillait à la plus grande découverte faite
depuis la création du monde.
- On
attribue cette phrase à Western.
- Il
n'a pas volé que MEDIUM ! Papa enfermait toujours ses
papiers dans son coffre. Après notre installation à Big
Sur, il construisit une sorte d'appareil électronique bien
plus petit que MEDIUM, mais qui dévorait des kilowatts. Nous
avions des notes d'électricité faramineuses !
- Certaines
auraient-elles échappées à l'incendie ?
demanda Carfax. Il ajouta aussitôt : Je n'oublie pas que
j'ai promis de garder le silence, mais la question me brûlait
les lèvres.
- Non,
tout a disparu. La Compagnie avait des archives. Je dis « avait »
car quand j'ai voulu les consulter, on m'a répondu que suivant
leur politique de recyclage, on les détruisait au bout de six
mois. Or j'ai effectué la démarche six mois après
l'incendie.
« Je
reviens à cette machine. Je connais la consommation
d'électricité car je vivais avec mon père et
nous partagions les dépenses. Je travaillais, si vous vous
rappelez - mais non, vous ne pouvez le savoir - comme
secrétaire du président de l'université. Je
gagnais bien ma vie mais j'étais incapable de supporter une
telle dépense. Papa me dit qu'il se chargerait de tout. Or lui
non plus n'avait pas de revenus suffisants. Quelques mois plus tard,
il m'annonça qu'il allait emprunter de l'argent à un
taux d'intérêt très bas. Vous devinez le nom du
prêteur.
Carfax
était bien décidé à garder le silence.
- Son
neveu, mon cousin. Votre cousin. Western. Pour obtenir le prêt,
mon père a sûrement été obligé de
lui parler de ses recherches. Mais qui aurait prêté de
l'argent à l'inventeur farfelu de MEDIUM ? Autant
l'avancer pour construire une machine à mouvement perpétuel.
Invention
- devenue impossible maintenant - se dit Carfax, MEDIUM
avait ouvert la porte à des recherches de toutes sortes.
- Papa
avait dû faire une démonstration convaincante. Du moins
je le suppose, car je n'ai pas vu Western à la maison. Papa ne
m'a jamais parlé d'une visite, mais il a pu venir pendant mes
heures de bureau ou durant l'été lorsque je voyageais
en Europe.
Carfax
eut envie de lui demander si elle était sûre que son
père avait bien reçu de l'argent de Western.
- Brusquement,
Papa a pu payer l'électricité, reprit-elle comme si
elle avait lu dans son esprit. Et acquérir le matériel
supplémentaire. Il a fait deux dépôts à sa
banque, l'un de 20.000 dollars et l'autre de 10.000 mille.
- 30.000
au total, murmura Carfax.
- La
majeure partie de cette somme servit à acheter du matériel
électronique, des consoles, de l'équipement. Papa
refusait de m'expliquer l'origine de l'argent aussi bien que la
nature de ses recherches. En temps utile, me répétait-il.
Je ne devais pas me faire de souci. Les dépôts étaient
en liquide, je n'ai jamais vu les récépissés.
S'il y en avait, ils ont été brûlés ou
récupérés.
« Je
ne comprends pas le silence de mon père. S'il m'avait parlé,
je ne me serais pas moqué de lui, je ne l'aurais pas pris pour
un fou. Ou je ne le lui aurais pas dit.
Elle
s'arrêta et se rembrunit avant de continuer.
- C'est
faux, soyons franche, s'il m'avait parlé de MEDIUM j'aurais
cru qu'il avait perdu l'esprit et je n'aurais pas pu me taire. Je lui
aurais livré le fond de ma pensée. Peut-être même
aurais-je cherché à le faire soigner. Je n'ai jamais
cru qu'il existe une vie après la mort, ni aucune chose de
nature surnaturelle. C'est une redondance, non, nature surnaturelle ?
Papa non plus, à ma connaissance. Mais la mort de ma mère,
quatre ans avant, m'avait profondément touchée. C'est
pour cette raison que j'étais venue vivre avec lui. J'avais
peur qu'il ne se laisse mourir de chagrin ou qu'il ne se suicide.
Humm, j'ai dit que je devais être sincère. J'avais
besoin de lui autant qu'il avait besoin de moi. J'aimais beaucoup ma
mère, je venais de divorcer, je voulais lui apporter mon
affection et je recherchais la sienne.
Elle
ouvrit son sac, y prit un mouchoir et s'en tamponna les paupières.
- Le
désir de supprimer la barrière de la mort, de revoir ma
mère eût pu... C'est bien Arthur Conan Doyle qui s'est
tourné vers le spiritisme après la mort de son fils ?
- D'un
proche, je crois.
- Mais
papa se serait conduit comme un savant. Il n'aurait pas eu recours à
un MEDIUM. La mort de ma mère n'a peut-être aucun
rapport avec sa découverte. Il a pu la faire par hasard, cette
malheureuse découverte.
Le
spectacle du jardin encore humide de rosée, le va-et-vient des
oiseaux n'incitait pas Carfax à croire en l'immortalité.
Au contraire, le mouvement perpétuel de la vie s'offrait à
ses regards.
Les
morts étaient définitivement morts 
revenaient que sous forme d'engrais 
funéraires empêchaient souvent cette transmutation !
Un instant, il en vint même à douter de la perpétuation
de la vie. L'homme faisait de son mieux pour l'arrêter,
conclut-il.
- C'est
le 17 mars au soir que s'est produit la catastrophe, reprit Patricia.
Partie chez des amis de Santa Cruz, je ne suis rentrée qu'à
une heure du matin. Fatiguée mais heureuse, j'avais passé
une excellente soirée. A mon retour, je constatai que le
réservoir de ma voiture était presque vide. Or Papa en
avait besoin le lendemain car il devait se rendre à une
réunion du département de physique, m'avait-il dit,
sans autre précision et il avait laissé sa voiture au
garage. Je fis donc un crochet par la station service avant de me
mettre au lit. C'est ce qui me sauva la vie. Je revenais quand...
Carfax
l'entendit avaler sa salive. Lorsqu'elle reprit la parole, elle parla
d'une toute petite voix.
- J'entendis
une explosion qui ébranla la ville entière. Cinq blocs
séparaient la maison de la station-service et pourtant j'ai eu
l'impression que l'explosion s'était produite juste à
côté. Toutes les fenêtres alentour furent
soufflées et les voisins se trouvèrent éjectés
de leur lit. Encore sous le choc, je dus m'arrêter pendant
quelques minutes. Je savais quelle cible on avait visée. Je
découvris la maison en flammes : un vrai feu de joie. Les
pompiers arrivés peu après veillèrent d'abord à
contenir l'incendie. Incapable de parler ou de bouger, je restai
stupide à contempler les flammes, les pompiers, la foule qui
s'était assemblée. Ce fut l'une des voisines qui me
repéra, comme elle me l'expliqua par la suite. On m'emmena
dans une ambulance. Un médecin m'administra un sédatif.
Je ne me réveillai que le lendemain, la tête
tourbillonnante en proie à une faiblesse extrême. On
m'expliqua ensuite qu'on avait retrouvé le corps de mon père
dans le jardin. Éjecté par le souffle de l'explosion,
il avait été ensuite écrasé par des
débris enflammés. Son corps était déchiqueté,
brûlé... méconnaissable. On ne put l'identifier
que grâce aux radios de son dentiste. Et... et...
Patricia
se moucha et s'essuya les yeux avec son mouchoir. Carfax partit lui
chercher des Kleenex à la cuisine. Après avoir constaté
dans un miroir de poche les dégâts causés par ses
larmes, elle grimpa dans la salle de bains pour rectifier son
maquillage. En redescendant elle avait même retrouvé son
sourire.
- Quand
on ouvrit le coffre-fort mural, reprit-elle, il était
complètement vide. On l'avait ouvert et débarrassé
de son contenu, y compris mes bijoux, avant de le refermer. Mon père
avait dû agir sous la menace. Selon la police, l'explosion
avait été provoquée par le gaz : on avait
ouvert l'alimentation des bûches artificielles installées
dans la cheminée, attendu que le gaz ait envahi la maison,
puis refermé le robinet. Toutes les fenêtres et toutes
les portes étaient fermées 
indiquaient qu'on les avaient scellées avec de l'adhésif.
Le laboratoire de la police en avait eu la preuve malgré
l'incendie.
« Mais
Papa n'était pas mort asphyxié : ses poumons ne
contenaient pas de gaz. Il était mort d'un coup reçu
sur la tête. Ou du moins il avait reçu un coup
susceptible d'entraîner la mort. Mais il était
impossible de savoir s'il avait été frappé
volontairement par un instrument contondant ou simplement heurté
par un objet projeté par l'explosion. Cette seconde hypothèse
fut vite écartée cependant : en effet dans ce cas,
mon père aurait respiré le gaz. On l'avait donc frappé
avant d'ouvrir le gaz.
« Ensuite,
l'assassin, qui devait porter un masque à oxygène,
avait attendu que le gaz ait rempli la maison et il avait laissé
un dispositif destiné à provoquer l'explosion. Ce
dispositif avait sans doute été détruit car on
n'en retrouva pas de trace. Puis l'assassin était sorti
par-derrière, avait pris soin de refermer la porte et s'était
éloigné le plus vite possible. L'explosion, et
l'incendie avaient détruit les deux exemplaires de MEDIUM. On
fit examiner leurs restes par un électronicien qui découvrit
que certains circuits essentiels manquaient, comme il ignorait
l'usage de ces appareils totalement inconnus pour lui, il se révéla
incapable d'en comprendre le fonctionnement en l'absence de ces
circuits. Mon père avait sûrement reconnu l'assassin
quand il l'avait forcé à ouvrir le coffre.
Cette
fois, Carfax ne put se retenir d'intervenir :
- Sauf
s'il portait un masque et s'il avait déguisé sa voix.
- Bien
entendu. Mais pourquoi aurait-il dissimulé son identité ?
Il ne devait pas y avoir de témoin 
directement ou non, c'est lui le responsable car lui seul connaissait
la nature des recherches de mon père. Il a annoncé
qu'il communiquait avec les morts, six mois seulement après sa
mort. Croyez-vous que ce soit une coïncidence ? Moi, je
savais donc que Western avait volé les plans mais j'étais
incapable de le trouver. Je n'ai rien à présenter à
un tribunal. Mais je n'allais pas rester les bras croisés et
laisser l'assassin en liberté. La première chose que
j'ai faite après la mort de mon père, c'est d'engager,
grâce à son assurance-vie un détective privé
pour enquêter sur Western.
« Comme
la presse a beaucoup parlé de lui, je suppose que vous
connaissez l'essentiel. Titulaire d'un diplôme de gestion des
affaires, il a de plus hérité de son père sept
magasins de radio-télévision. Il a suivi beaucoup de
cours techniques et il possède également un diplôme
de télécoms. Mais il n'a rien d'un inventeur...
- Navré
de vous interrompre encore une fois. Un inventeur n'a pas besoin de
diplômes.
- Je
sais. Les yeux de Patricia s'agrandirent comme sous l'effet de la
colère. Apparemment ses études terminées,
Western s'est contenté de gérer ses affaires, de jouer
à la bourse et de courir les femmes. Une anecdote vous
éclairera sur sa personnalité : Après la
mort de mon père, je suis sortie une fois avec lui parce que
je désirais en savoir plus sur leurs relations. En fait, c'est
moi qui lui ai fait des avances en lui téléphonant pour
lui demander un rendez-vous. Il m'a invitée au Sandia et nous
avons pas mal bu. Ensuite, il m'a proposé d'aller chez lui,
nous y serions plus à l'aise pour bavarder, m'a-t-il dit 
j'acceptai. Un homme qui a bien bu et qui se trouve en compagnie
d'une jolie femme, j'ignore la fausse modestie, a tendance à
trop parler.
Ses
yeux s'agrandirent encore. Dans sa voix, le chagrin fit place à
la colère.
- Il
m'a proposé de coucher avec lui ! Mon propre cousin !
L'assassin de mon père ! Je crains d'avoir perdu la tête.
Je l'ai giflé, je l'ai accusé d'avoir tué mon
père pour le voler et je lui ai promis de le faire payer avec
ou sans l'aide de la police.
Je
n'avais jamais vu un homme changer aussi rapidement. Pendant une
minute, j'ai cru qu'il allait me tuer sur place. Mais il est bien
trop malin pour cela. Il s'est rasséréné
aussitôt comme s'il avait pris une douche froide. il m'a
conseillé de sortir et m'a interdit de le revoir. Et il m'a
prévenue que si je racontais à d'autres ce que je lui
avais dit, il me la bouclerait.
Il
ne m'a pas menacée, remarquez. Mais quand il a parlé de
me la boucler, il ne pensait pas à des moyens légaux,
j'en suis sûre. Je suis partie aussi vite que j'ai pu.
Par l'agence de détectives,
j'ai appris ensuite que Western laissait certaines femmes dans le
besoin utiliser MEDIUM, surtout si elles étaient jolies 
il les emballait, le salaud !
Il
faut être deux pour ce genre de marché, pensa Carfax.
- Je
me demande comment votre agence a obtenu ce renseignement. Pas par
les femmes, en tout cas.
- Un
de leurs détectives travaille chez Western. C'est une
secrétaire qui l'a mis au courant. D'ordinaire, son personnel
est discret mais cette secrétaire est tombée amoureuse
du détective 
pour Western, elle n'a pas pensé à mal. Le métier
de détective est un sale métier, non ?
- Si,
mais on agit rarement sans se salir les mains.
- Des
femmes qui ont refusé les propositions de Western ont parlé
aussi, elles n'avaient pas peur, elles. Maintenant, vous vous
demandez pourquoi Western ne m'a pas encore descendue puisque voilà
huit mois que je lui ai jeté mes soupçons à la
figure. Mais c'est qu'il doit savoir que je le fais surveiller. Les
deux directeurs de l'agence de détectives ont reçu des
coups de fil anonymes leur enjoignant d'abandonner l'affaire, peu
après avoir découvert que ma ligne était
surveillée et ma maison truffée de micros. Ils ont
également identifié les hommes qui me filaient :
des employés d'une autre agence qui a refusé de donner
le nom de son client, bien entendu.
- Les
noms de ces deux agences ?
- J'ai
engagé Fortune et Thorndyke 
d'enquêtes et de sécurité Magnum.
Carfax
hocha la tête :
- Fortune
et Thorndyke sont installées dans West Hollywood 
dans le centre de Los Angeles 
dirigée par Valmont. Je les connais tous trois pour avoir
autrefois travaillé avec eux.
- Qu'est-ce
qui vous a poussé à devenir professeur d'histoire ?
Je comprends qu'on abandonne le travail de détective privé :
c'est un travail sordide, déprimant qui ne doit pas procurer
beaucoup d'exaltation. Ah, c'est vrai, vous avez eu une dépression...
Carfax
haussa les épaules :
- C'est
le Times qui a raconté que vous avez eu une dépression
pendant une affaire et qu'elle s'est trouvée aggravée,
la dépression, pas l'affaire, par un accident qui a failli
vous coûter la vie.
- Je
suis restée d'abord dans une clinique privée puis j'ai
été transférée à l'hôpital
du Mont Sinaï de Beverley Hills. J'ai eu la chance, ou la
malchance, de tomber sur un psychothérapeute extrêmement
doué.
- Pourquoi
la malchance ?
- Qui
sait ? Le docteur Sloko m'a convaincue ou m'a amenée à
me convaincre que je venais de vivre une crise de folie. J'avais
souffert d'hallucinations extraordinaires et d'un réalisme
total. Dès ce moment, j'ai rapidement recouvré mon
équilibre. Mais je ne sais toujours pas si...
- Il
faudra m'en parler un jour. J'ai peur que Western ne profite de cette
histoire. Rien ne l'empêche d'expliquer ou d'insinuer que vous
souffrez d'une nouvelle crise de folie passagère. Et alors,
adieu votre hypothèse sur les extraterrestres.
Carfax
fit la grimace :
- J'en
ai bien conscience. Si je gêne trop Western, c'est ce qu'il
fera. Vous...
Il
s'interrompit. Il allait dire qu'un ex-malade mental et une presque
déséquilibrée ne formaient pas une équipe
solide.
- Nous
en reparlerons, dit Patricia. Si je suis venue vous trouver, c'est
parce que vous êtes mon cousin, que vous êtes un
adversaire irréductible de Western, que vous avez été
détective, que vous...
- Allez-y,
cessez de tourner autour du pot.
- Comment ?
- Que
voulez-vous que je fasse quand j'irai voir Western ?
- Démarche
logique, non ? dit-elle en s'approchant de lui. Mais je n'ai pas
le droit de vous demander quoi que ce soit : vous ne disposez
que d'une séance de MEDIUM, et vous souhaitez sûrement
parler à votre femme ou à l'un de vos parents, enfin à
quelqu'un que vous aimiez. A moins que, en tant que professeur
d'histoire, vous désiriez vérifier que le Secrétaire
d'État à la guerre de Stanton est bien le responsable
de l'assassinat de Lincoln.
- La
chaire de l'université de Chicago travaille déjà
sur cette question grâce à un prêt fédéral.
Carfax fit une pause. Mais si je découvre la cause exacte de
la mort de votre père et l'identité de son assassin au
cas où l'on aurait assassiné, cette découverte
passera avant la mort de Lincoln.
Un
profond soupir échappa à Patricia :
- Vous
acceptez !
- J'y
réfléchirai.
La
conversation l'avait insidieusement amené à contredire
sa théorie, constata-t-il. Au lieu de se cramponner à
l'idée que MEDIUM permettait de communiquer avec des
extra-terrestres, il avait admis implicitement qu'il s'agissait de
défunts. Patricia espérait son aide mais elle croyait
aux allégations de Western.
~
5 ~
Carfax
avait fait le serment de ne jamais revenir à Los Angeles.
Malgré cet engagement, il se trouvait maintenant sur le point
d'atterrir au nouvel aéroport international de Riverside. Sous
l'avion, il découvrait les montagnes occidentales de l'Arizona
baignées dans une atmosphère glauque. L'air épais
le transformait en un décor sous-marin aperçu par le
fond vitre d'un submersible. A leurs pieds s'étendait la
réserve de chasse Kofa où, affirmait-on, rôdaient
encore, l'oeil vitreux et les poumons ravagés des
derniers pumas de l'Amérique du Nord. On y rencontrait aussi
une espèce de cactus, le sagnasa, qui avait presque
totalement disparu de la surface du globe. La pollution atmosphérique
n'était responsable qu'en partie de l'extinction de l'espèce,
raison pour laquelle le président des États-Unis
s'était donné dix années pour ramener coûte
que coûte le taux de pollution.
L'avion
se posa et gagna son aire d'atterrissage où un cordon
ombilical télescopique le relia à l'aéroport.
Carfax s'enfonça dans les entrailles climatisées du
bâtiment. Il reconnut aussitôt Edward Tours : il
avait déjà vu ce visage large et ces cheveux gris
coupés courts sur l'écran du vidéophone quand il
avait rappelé Western.
Les
deux hommes se serrèrent la main et échangèrent
des banalités sur la pollution. Malgré sa présence,
ô combien indéniable, celle-ci fournissait au moins un
sujet de conversation et de mécontentement. La conversation
s'orienta ensuite vers les impôts, passa aux plages où
l'on refusait maintenant ceux qui échouaient à un
examen de beauté, effleura le massacre de Philadelphie, toucha
à la crise iranienne, pour aboutir au déclin de la
littérature contemporaine. A ce moment-là, les deux
valises de Carfax surgirent d'un distributeur. Des bras d'acier les
soulevèrent et les déposèrent sur la carapace
plane d'une petite tortue électrique pourvue de quatre roues
qui vint s'arrêter à trente centimètres des pieds
des voyageurs. Carfax glissa une étiquette de plastique dans
une fente. Les deux hommes jeunes qui accompagnaient Tours
s'emparèrent des valises libérées et la tortue
s'en retourna chercher d'autres bagages.
Edward
Tours et ses compagnons portaient des costumes d'après-midi
couleur orange vif. Un tau se balançait au bout d'une chaîne
d'argent suspendue à leur cou : au centre de la boucle
resplendissait un M doré, l'initiale de MEDIUM. Et la moitié
des visiteurs de l'aéroport arborait le même pendentif.
- Docteur
Carfax, nous sommes obligés d'emprunter le MTO, dit Tours.
Nous ne pouvons plus vous traiter comme un officiel, du moins hors de
l'aéroport. De plus, étant donné que la presse
vous considère comme un visiteur de marque, nous devrions
acquitter une taxe. Mais vous savez.
- Je
ne m'attendais pas à être accueilli par une limousine et
son chauffeur, répondit Carfax. Je ne le souhaiterai pas non
plus. D'ailleurs le MTO est bien plus rapide que l'autoroute.
Ils
gagnèrent la salle d'attente. Une minute plus tard, l'express
de Hollywood entrait en gare au milieu des grincements et des
chuintements. Ils prirent place dans l'une des voitures en forme
d'oeuf et le train les emmena à 250 km/h. Assis près
de la vitre, Carfax regardait le paysage qui défilait entre
les grandes arches qui supportent le rail supérieur. Le smog
paraissait moins épais qu'en altitude 
gêné car il n'avait pas quitté les lieux
climatisés.
La
métropole s'était encore développée de
36 kilomètres en direction de l'est 
des maisons individuelles et des rues avaient remplacé
l'ancien désert. Dans les vieux quartiers le nombre de
gratte-ciel avait augmenté, les rues s'étaient souvent
dédoublées en deux niveaux reliés par de
nombreuses passerelles. Certaines voies qu'ils connaissaient bien
avaient laissé la place à des immeubles. La plupart des
piétons portaient maintenant des masques à oxygène
et de petits cylindres. Mais, dans l'ensemble, Los Angeles avait peu
changé.
Cinq
minutes après avoir quitté Riverside, le MTO atteignait
la station Highland-Sunset. Les alentours, eux, étaient
presque méconnaissables. On avait abattu la plupart des
immeubles 
acquis, eux aussi, deux niveaux.
Guidés
par Tours, les quatre hommes empruntèrent un escalator protégé
par une gaine de plastique pour atteindre le niveau supérieur.
Dans une petite serre un nouveau taxi les attendait : cellule de
fuel, un moteur électrique par roue. Le conducteur, la tête
rasée, n'avait pour tout vêtement qu'un short bleu
électrique et un foulard écarlate.
Ils
se glissèrent lentement au milieu de la circulation jusqu'à
la rampe de sortie de Nicholls Canyon. La nouvelle voie via Nicholls
Canyon les amena directement à une route secondaire privée
qui longeait la colline jusqu'à la demeure de Western. Cinq
cents mètres plus loin, un garde posté près
d'une barrière, les arrêta. Tours exhiba une carte en
code et glissa son pouce droit dans le trou d'une boîte
d'immatriculation. Le garde s'effaça, la barrière se
leva et le taxi continua son chemin.
D'énormes
pylônes soutenaient la route érigée à
flanc de colline. Des avenues secondaires amenaient par des rampes
d'accès aux splendides demeures taillées à même
les hauteurs. On avait ravalé la colline, on l'avait manucurée
et corsetée de plastique, de métal et de ciment. Mais
le lierre garnissait encore toute sa surface.
A
travers les interstices de la rambarde qui bordait la route, Carfax
aperçut le vaste parking construit au sommet de la colline. A
côté s'élevait un grand immeuble d'habitation
d'un blanc uniforme. La foule qui occupait le parking se divisait en
quatre groupes 
voitures de police étaient garées sur le pourtour.
- Westernites
et anti-westernites, expliqua Tours. Les premiers constituent le
groupe le plus important. Les anti-westernites ne sont pas d'accord
avec eux : catholiques, baptistes du sud, scientologues, et,
sauf erreur, carfaxistes, pardonnez-moi l'expression.
- Je
n'ai autorisé aucun groupe à se prévaloir de mon
nom. Du moins jusqu'à présent.
- Alors,
vous feriez mieux de le leur expliquer, répliqua Tours.
La
demeure de Western était perchée sur le sommet de la
colline : c'était une magnifique construction de brique
et de bois dans le style colonial. Devant l'immense véranda,
cinq noirs vêtus de blanc immaculé taillaient pelouse et
massifs de fleurs. Carfax s'attendait presque à voir surgir
une dame vêtue d'une robe à cerceau, au bras d'un
colonel au menton orné d'un bouc.
- Les
jardiniers sont en fait des hommes du service de sécurité,
dit Tours. Si la végétation paraît si verte et si
florissante, c'est qu'elle est en plastique.
- Mais
les tondeuses et les sécateurs ?
- Les
tondeuses n'ont pas de lames, les sécateurs des tranchants
émoussés. Mr. Western n'aime pas la présence de
la police mais il doit se protéger. Trop de fous, comme ce
Philipps dont vous avez dû entendre parler, ont tenté de
l'assassiner. Les fanatiques croient protéger leur religion en
tuant Mr. Western. C'est de la démence.
- Mr.
Western aurait parlé à Phillips 6 heures après
sa mort.
- Oui.
On l'a repéré et interrogé rapidement. Mais
comme il était encore mal remis du choc causé par son
passage à l'état de semb, le contact a été
médiocre. Mr. Western compte s'entretenir de nouveau avec lui
car il espère que son témoignage convaincra ses
coreligionnaires de sa sincérité.
Le
taxi s'arrêta devant la grosse porte de métal qui
fermait la rampe d'accès. Elle s'ouvrit quelques secondes plus
tard. Le véhicule contourna la maison 
inclinée le conduisit au sous-sol. Des portes flexibles se
refermèrent derrière lui. Les passagers sortirent.
Edward Tours tendit sa carte de crédit au chauffeur qui
l'inséra dans l'appareil puis la lui rendit. Et il franchit
les portes dans l'autre sens 
par leur mouvement chassa le smog glauque.
Carfax
monta vingt marches derrière Tours et arriva dans une pièce
gigantesque décorée de façon splendide. Quatre
hommes peu amènes y paressaient 
à une fouille, fut déçu. Il en conclut qu'il
était passé devant des détecteurs en prenant
l'escalier. Ils traversèrent un hall très haut de
plafond, orné de peintures murales que Carfax reconnut pour
être des fresques étrusques. A l'extrémité
du hall, il prit place avec Tours dans un petit ascenseur qui les
mena aussitôt au troisième étage, sans que Tours
ait touché aux commandes. Des simulacres, pensa Carfax. Un
opérateur les surveillait probablement grâce à un
circuit de télévision intérieur. Il se demanda
si l'ascenseur descendait jusqu'au garage.
Les
deux hommes pénétrèrent dans une pièce
aux dimensions imposantes. Derrière chacun des vingt bureaux,
des employés des deux sexes parlaient au téléphone,
dictaient à des machines à écrire, compulsaient
des dossiers ou écoutaient des enregistrements. Tours présenta
à Carfax une jolie femme d'âge moyen. Mrs. Morris, la
secrétaire personnelle de Western. Avec un sourire, elle les
invita à la suivre dans un petit vestibule qui débouchait
sur une pièce meublée seulement par un bureau inoccupé,
et par une console d'un ordinateur. Tours fit un signe à la
caméra installée à l'angle du plafond. La porte
coulissante s'enfonça dans le mur. La pièce suivante
était aussi grande que glaciale. Les murs peints en blanc
étaient nus sauf pour des cartes que Carfax ne parvint pas à
identifier. Un petit bureau et une chaise repoussée dans un
coin, quelques fauteuils épars constituaient le seul
ameublement. Western se tenait au centre de la pièce. A ses
côtés, il y avait MEDIUM. Gordon Carfax devait lui
rendre cette justice : Western n'avait pas cherché à
créer une atmosphère religieuse. Dans la pièce
brillante et nue, on ne voyait aucun de ces objets exotiques qui
décorent souvent les pièces où les médiums
humains tiennent séance. Le cube gris neutre, haut d'un
décamètre, la console incurvée, les compteurs
lumineux, indicateurs lumineux, écrans, les câbles
énormes qui s'enfonçaient dans le sol, tout en MEDIUM
respirait la science. SUITE DANS LE LIVRE
1
Désigne le bassin industriel de Los Angeles, derrière
la chaîne montagneuse où voisinent les villes de
Tarzana, Sherman Oaks, Burbank, etc. Note JdL.
2
A côté de San Francisco. Note JdL.
3
Université de Californie de Los Angeles.
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